Le football moderne regorge de grands buteurs. Trois des quatre meilleurs buteurs de l’histoire de la Ligue des Champions sont encore en activité, en les personnes de Lionel Messi, Cristiano Ronaldo et Karim Benzema. Si l’on veut remonter un peu dans le passé, les noms de Ronaldo, Pelé, Shevchenko, Inzaghi, Romário, Gerd Müller ou bien Puskás Ferenc ont de quoi faire frémir. Les puristes ne manqueront pas de rajouter quelques noms à cette liste, comme ceux d’Arthur Friedenreich, d’Ademir ou de Josef « Pepi » Bican. Mais un nom est systématiquement oublié : celui de Poul Nielsen. Retour sur la vie et l’œuvre de l’attaquant aux chiffres les plus fabuleux de l’histoire.

De Copenhague à la gloire

Poul Nielsen est un enfant Danois comme les autres. Né le 25 décembre 1891, ses parents reçoivent sa naissance comme un cadeau de Noël, eux qui attendaient impatiemment un fils. Dans les rues de Copenhague, le soir, après l’école, il joue avec ses amis. Le ballon rond, relativement populaire dans cette fin de dix-neuvième siècle au Danemark, est un de ses loisirs favoris. Il faut dire que Poul Nielsen est tout sauf maladroit quand il taquine le cuir. Dans des chaussures absolument pas profilées pour la pratique du sport, il contrôle sans difficulté le ballon, s’exerce à la passe et prend du plaisir à la frappe. De taille moyenne – on estime qu’il n’atteignait pas le mètre soixante-douze – et plutôt fin, il ne peut faire valoir ses arguments physiques, alors il est obligé d’adapter sa technique en conséquence.

Pas question, en 1901, de parler de centres de formations. Tout juste des rencontres amicales entre des sélections de quartier de Copenhague. Mais aucune détection à la clé pour Poul Nielsen et ses camarades. Le plaisir du jeu, pur et simple. Malgré tout, alors qu’il grandit, il tanne ses parents pour prendre un engagement – personne n’utilise encore le terme de « licence » – avec le club local, le Kjøbenhavns Boldklub, lointain ancêtre du FC København. Poul Nielsen a seize ans, et il patiente quelques dizaines de minutes devant les bureaux du clubs. Il est convié à un match amical du KB quelques jours plus tard. Placé à la pointe de l’attaque de l’équipe « B », il marque but sur but et est très rapidement pleinement intégré dans l’équipe « A », malgré son jeune âge. Les matchs sont irréguliers pour le KB, mais pas pour Poul Nielsen, qui est appelé à chaque reprise dans l’équipe.

Premier rôle

Et celui qui assistait jeune aux matchs sans payer son billet va bientôt attirer les foules en jouant les premiers rôles. Buteur ultra-régulier, il est appelé avec l’équipe nationale du Danemark moins de deux ans après ses débuts seniors. Le 5 mai 1910, alors qu’il n’est âgé de que dix-huit ans et cent-trente-et-un jours, il bat le record de précocité sous le maillot danois établi deux ans plus tôt par Vilhelm Wolfhagen. Un premier record qui tombe pour Poul Nielsen, mais pas son record le plus marquant. En effet, Valdemar Laursen, en 1918, améliorera la performance déjà impressionnante en apparaissant pour la première fois avec le Danemark à l’âge de dix-huit ans et cinquante-et-un jours. A Copenhague, le Danemark s’imposera 2-1 contre l’équipe amateure d’Angleterre. Mais Poul Nielsen ne marquera pas.

Ce n’est que partie remise, pense-t-il, quand il est appelé pour la deuxième fois avec le Danemark le 21 octobre 1911 pour affronter – à nouveau – l’Angleterre amateure, cette fois-ci à Londres. Mais la partie ne tourne pas comme prévu pour le Danemark, qui se fait corriger sur le score de trois buts à rien par la sélection britannique. Pas de buts pour ses deux première sélections, le train pourrait être passé. Mais Poul Nielsen marque but sur but dans le championnat danois. Ses frappes coup-de-pied rendent les défenses complètement impuissantes, et les meilleurs gardiens du championnats s’inclinent devant la classe de l’attaquant.

Ses feintes de corps, assez innovantes pour l’époque, lui permettent de se distinguer dans les duels. Grâce à son physique léger, il peut adopter un style de jeu virevoltant. Poul Nielsen est un des premiers avant-centre à redescendre pour organiser le jeu ou à se déporter sur les ailes pour accélérer les attaques. Mais il parvient toujours à se trouver dans la surface de réparation pour conclure les offensives de son équipe.

La révélation

Ses performances éblouissantes en championnat conduisent le comité de sélection à l’inclure dans sa délégation pour les Jeux Olympiques de 1912 en Suède. Le Danemark n’a pas à passer le premier tour, suite à un nombre de participants impair. Au deuxième tour, Nielsen n’est pas dans l’équipe qui humilie la Norvège 7-0. Ce soir-là, c’est un autre Nielsen, Sophus, qui fait le show en marquant deux fois. Anthon Olsen s’offre trois buts, Wolfhagen et Middelboe viennent corser l’addition. En demi-finales, le Danemark affronte les Pays-Bas, faciles vainqueurs de l’Autriche 3-1. Ce soir du 2 juillet 1912, Poul Nielsen est titulaire.

Danemark - Pays-Bas - 1/2 finales des JO 1912
Danemark – Pays-Bas – 1/2 finales des JO 1912

Et il va largement contribuer au succès du Danemark quatre buts à un en inscrivant, à la trente-septième minute, alors que les Pays-Bas étaient dans un temps fort, le but du break. Cependant, malgré sa bonne performance, il n’est pas reconduit dans le onze pour la finale, contre la Grande-Bretagne. Une fois n’est pas coutume, cela sera une balade pour les britanniques, qui s’imposeront quatre buts à deux.

L’équipe nationale danoise ramène une médaille d’argent au pays, et réalise un de ses premiers exploits footballistiques, quatre-vingt-ans avant la surprenante victoire du pays à l’Euro 92. En parallèle, la carrière internationale du jeune Poul Nielsen – qui n’a que vingt ans – est lancée. En club, il va aussi connaître une période faste, puisque que le KB va s’adjuger les championnats de 1913 et de 1914. Au total, Poul Nielsen va remporter six championnats du Danemark dans sa carrière, les suivants arrivant en 1917, 1918, 1922 et 1925. Un joli palmarès, à une époque où la Coupe du Monde et autres compétitions internationales n’étaient pas à l’ordre du jour.

Atome

Mais Poul Nielsen n’écrit pas sa légende grâce aux championnats mais grâce à ses talents de buteur. Nous sommes le 25 mai 1913, et Poul Nielsen porte pour la quatrième fois le maillot danois. Il inscrit son deuxième but, contre la Suède, lors d’une large victoire 8-0. Deux buts en quatre matchs, pas de quoi en faire une superstar. Sauf que le 5 octobre suivant, le Danemark se déplace à Stockholm pour affronter à nouveau la sélection jaune et bleue. Poul Nielsen réalise une des plus grandes prestations de la scène internationale du football pré-moderne.

Poul Nielsen marque six fois et délivre deux passes décisives, la Suède est atomisée 10-0. Un score à la mesure du talent de Nielsen, qui assure sa place de titulaire en sélection pour le match qui a lieu trois semaines plus tard à Hambourg contre l’Allemagne. Le 26 octobre, il fait voler en éclat ses adversaires à lui tout seul, et le Danemark repart avec une victoire 4-1, tous les buts ayant été inscrits par Poul Nielsen.

La bonne forme de Poul Nielsen va se confirmer dans les années suivantes : un triplé contre les Pays-Bas, quelques buts isolés – notamment contre l’Angleterre en 1914 -, un splendide quadruplé contre la Norvège en 1916 ou bien un quintuplé contre les voisins suédois, décidément son adversaire favori, au mois d’octobre 1917.

Poul Nielsen, le héros

Et la fin de la première guerre mondiale ne va pas du tout marquer la fin de la période de grâce de Poul Nielsen. Pour preuve, le soir de sa vingt-troisième sélection, contre la Norvège à Copenhague, Nielsen pointe à quarante-trois buts en vingt-trois sélections. Seulement, le football évolue, et les grandes nations du football – France, Angleterre, Allemagne – renaissent doucement de leurs cendres avec la fin du premier conflit mondial. Nielsen recule un peu sur le terrain et évolue davantage au poste de troisième attaquant de l’attaque à cinq – on parlerait de « faux neuf » aujourd’hui. Décisif, il continue à l’être, mais plus à la passe qu’à la conclusion. Il ne marque plus autant – seulement deux buts entre le 9 octobre 1921 et le 15 juin 1924 en neuf matchs – mais délivre beaucoup de passes décisives – entre trois et huit sur la période selon les sources.

En 1924, Poul Nielsen dispute la seconde et dernière compétition internationale de sa carrière, avec les championnats nordiques. Il marque quatre buts en quatre matchs. Mais, âgé de trente-quatre ans, il n’est plus de prime jeunesse. Le 27 septembre 1925, il dispute à Aarhus, contre la Finlande, le dernier match international de sa riche carrière. Il marque son cinquante-deuxième et dernier but en trente-huit sélections seulement. Un record dont il est co-détenteur avec Jon-Dahl Tomasson, pour qui il aura fallu cent-douze matchs ! Avec un ratio de 1,37 buts par match en sélection, il est le buteur le plus prolifique de l’histoire des équipes nationales parmi les meilleurs buteurs en sélection. En club, ses chiffres sont impressionnants aussi, avec deux-cent-soixante-seize réalisations en deux-cent-un matchs, le dernier en 1927.

Quelques années recordman du nombre de sélections avec le Danemark – jusqu’à être battu par Michael Rohde en juin 1931 -, Poul Nielsen est le premier très grand buteur de l’histoire du football. Il décédera paisiblement le 9 août 1962, âgé de soixante-dix ans, dans sa ville de toujours, Copenhague.

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