Afin de mieux comprendre l’utilisation des statistiques dans le football, demivolee.com est parti à la rencontre d’Alexandre, analyste statistique, qui sillonne toutes les semaines les stades de Ligue 1.

On va commencer par la présentation. Est-ce que tu peux rapidement te présenter, ce que tu fais et depuis combien de temps ?

Bonjour ! Moi c’est Alexandre, j’ai vingt-huit ans, et c’est la troisième saison que je bosse pour la société STATS, qui est fournisseur de données à la Ligue (de football professionnel, ndlr). Dans la vie de tous les jours, je suis développeur informatique sur Lyon. Et étant un gros sportif et un compétiteur, le sport est une grosse partie de ma vie, d’où le fait que j’ai sauté sur cette opportunité de job.

Comment, en pratique, tu effectues la collecte des statistiques ? C’est quelque chose d’assez nébuleux pour le néophyte, mais qu’on voit pourtant partout.

Alors, il faut savoir qu’il y a plusieurs façon de faire. En premier lieu, il y a des personnes devant des écrans qui vont « noter » ce qu’ils voient, ce sont les données qu’on peut voir en match généralement. Ce n’est pas mon travail. Une autre méthode, celle de ma boite, se fait en plusieurs étapes. L’étape un, c’est celle dont je m’occupe. On met en place un système mobile, dans les stades le jour du match. Ce système va enregistrer le match via ses caméras, et par le logiciel associé, va nous permettre de suivre individuellement chaque joueur. En gros, ça fait un peu comme le radar sur FIFA ou PES. Nous allons avoir des points sur notre écran, chaque point étant une personne sur le terrain, et notre travail va tout simplement consister à dire : « tel point, c’est tel joueur ». C’est pas plus compliqué que cela.

Cette partie, c’est le travail dans le stade. Elle va nous permettre de sortir les statistiques sur les courses (la fréquence, la vitesse, le nombre…) et la heatmap des joueurs notamment. L’étape deux, elle, va être faite par d’autres employés – pas en France -, qui vont eux regarder tout le match en détail.

Ces statistiques, elles sont à destination des clubs seulement ou bien aussi des médias ?

Alors, ces statistiques sont, à ma connaissance, divisées en trois parties. Une partie est pour la LFP, et ce sont généralement des données publiques (en tout cas une partie est sur le site de la LFP). Une autre partie est pour les clubs. La dernière partie, les stats les plus poussées, sont pour les clubs partenaires. La société STATS est partenaire notamment de Marseille, Lyon, Saint-Étienne, Paris….

Concrètement je ne sais pas si les médias y ont accès, mais je ne pense pas. Il se dit qu’Opta utiliserait nos données, mais… Par contre, ces données doivent être utilisés sur Football Manager, car les puristes du jeu reconnaîtrons le logo de ma boite, STATS, qui est présente dans le jeu. Donc il n’est pas exclu qu’elles soient vendues à d’autres (sourire en coin).

Rapidement, tes statistiques et celles de tes concurrents, elles sont fiables ?

Oui… si tu sais les analyser.

Question plus personnelle : en tant qu’analyste, qu’est-ce que tu penses de l’usage des statistiques dans le foot ? A ton sens, ça doit être partout, nulle part, un peu… ?

Étant plus scientifique comme personne, les statistiques sont pour moi essentielles. De plus, en tant que basketteur, et donc suivant la NBA, le sport où les statistiques sont reines, forcément j’y trouve un intérêt. Et puis Leicester a été champion quand ils étaient l’un des premiers – et seuls – clubs à utiliser nos statistiques. C’est que ça doit avoir une utilité. Maintenant, et c’est là où je tiens à mettre un gros bémol, les statistiques ne sont que des chiffres, et c’est la personne qui les analyse qui les fait parler.

Autrement dit, avec une statistique, je peux avoir plusieurs analyses différentes. Donc c’est quelque chose de très utile, mais il faut savoir les utiliser à bon escient. Elles permettent de mettre en lumières certaines performances, certains joueurs qui, devant la télévision, semblent avoir fait un mauvais match… mais elles peuvent aussi montrer qu’un joueur n’a pas été si bon que cela. Cela ne reste que des chiffres à remettre dans un contexte. 90% de passes réussies, certes, mais où, comment, à qui, qu’ont-elles provoquées ? Seule l’expertise humaine peut en tirer une valeur réelle et utile.

Est-ce que quand on fait ce genre de job, c’est pas un peu compliqué d’être supporter d’une équipe ?

Ça peut être compliqué. La plupart de mes collègues supportent un club, forcément. Par exemple, un Lyon – Marseille, il va parfois être dur de se concentrer sur son écran. Un Saint-Étienne – Lyon, c’est très compliqué aussi car tout le monde sait que tu es lyonnais et tu vas te faire charrier. On y va parfois avec toute notre mauvaise-foi de supporters, donc ce n’est pas toujours évident car tu dois être pro et avoir un minimum de retenue. Et pour les fans de Mon Petit Gazon, c’est tout aussi compliqué de voir son équipe perdre face à des joueurs qui sont devant toi !

Quel est l’objectif des statistiques ?

J’en profite pour préciser que les statistiques de sa propre équipe servent surtout pour la préparation des joueurs, bien plus que pour aider le coach à faire son équipe. Elles vont servir à préparer et optimiser le physique d’un joueur, voire tirer une sonnette d’alarme. Donc c’est très important pour les préparateurs physiques. On oublie souvent ce point-ci sur les statistiques, mais c’est presque leur rôle principal. En plus bien sûr d’aiguiller les exercices dans certains entraînements.

Est-ce qu’il y a certains stades plus pratiques pour faire ce genre de métier ?

Alors, pour le travail, j’ai fait le Parc des Princes, le Vélodrome, Louis II et Saint-Symphorien à quelques reprises. Après, plus généralement, je fais Dijon, Saint-Étienne, Lyon et Montpellier, qui sont dans ma « zone ». Chaque stade est unique, mais j’ai une affection particulière pour Dijon, qui a gardé une ambiance « familliale » proche du rugby. C’est toujours un plaisir d’y aller. Et bien qu’étant lyonnais, Sainté à toujours sa grosse ambiance, et c’est super à voir et à vivre. Pour le travail, on restera sur le Groupama Stadium, car c’est le plus récent : propre, bien fait, pratique, des services nickels. On sent qu’on est dans une catégorie au dessus par rapport à Geoffroy-Guichard ou aux autres.

Dernière grosse question, est-ce que quand tu regardes un match pour le plaisir, tu ne le regardes pas de la même façon ?

J’ai envie de dire que rien n’a changé à ce niveau la, presque malheureusement. Au travail, si ce n’est pas l’équipe que je supporte, ça va être comme devant la TV : je regarde. Peu d’émotions. Si c’est mon équipe par contre, je vais le regarder presque pareil : beaucoup de stress, de mauvaise-foi, de peur, de joie.

Au final, et j’en reviens à ta question un peu avant, l’âme de supporter est toujours là, que ça soit au boulot ou en dehors. Par contre, pour sortir un peu de la question, ça apprend à relativiser et à « analyser » plus objectivement. Quand tu parles à des préparateurs physiques, des adjoints, des gens d’un club, tu peux pas y aller en tant que supporter lyonnais ou marseillais. Tu parles avec des gars du milieu, des connaisseurs, donc ça t’aide à voir plus loin que le bout de ton nez, de ton club. Tu deviens un professionnel du foot à part entière, si l’on peut dire, et pas que d’un club.

Justement, est-ce que ça t’as permis de rencontrer des gens au sein de clubs ?

Rencontré, oui et non. On peut côtoyer et parler avec certains préparateurs physiques, des « community manager », parfois des entraîneurs adjoints. Mais ce n’est pas récurrent. J’ai croisé Aulas et Romeyer plusieurs fois, et ce sont des personnes très éloignées de leur image publique, elles sont très ouvertes, souriantes, bienveillantes, malgré que tu ne sois qu’un analyste. Les gens qu’on côtoie le plus au final, ce sont les journalistes et surtout les commentateurs, puisqu’on est placé juste à coté d’eux. On est parfois à un mètre d’eux, à peine. C’est avec eux qu’on parle. Mention spéciale à Julien Brun, qui est une super personne au passage !

Quelque chose à ajouter ?

Au final ce que j’ai appris à aimer, c’est l’engouement qu’il peut y avoir autour d’un match. Que ça soit chaud à Lyon, familial à Dijon, voir les deux comme dans la Loire. Le foot, et surtout le sport, ça reste avant tout là pour rassembler les gens, de tout âge. Ouais, avant tout, ça permet de passer un bon moment. Les statistiques, les joueurs, les présidents, tout ça ce n’est là que par la « grâce » des supporters. L’important restera toujours les supporters dans un club, donc soutenez votre équipe, car sans vous elle ne sera rien. Et ça serait dommage de se passer d’un vecteur d’émotions pour de nombreuses personnes. Voir des gosses avoir les yeux qui pétillent parce qu’ils ont un autographe de Jérémy Morel ou de Nolan Roux, c’est super, et c’est ça l’objectif ! (Sourire amusé, un peu ému)

Merci beaucoup Alexandre !

Mais de rien ! Merci à toi pour cette opportunité d’expliciter un peu ce qu’on fait dans les coulisses.

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