La cinquième saison de Leonardo Jardim sur le Rocher a de quoi contraster avec les précédentes. Lui qui avait toujours réussi à composer avec la politique sportive monégasque sans la moindre sortie polémique ni fausse excuse s’est retrouvé en difficulté sur cette saison 2018-2019. Dans la zone rouge à quatre points du premier non-relégable, Monaco a remercié ce jeudi l’entraîneur portugais. Retour sur la carrière et la philosophie du coach madérien.
Jardim d’Eden
Jardim est un des rares entraîneurs à n’avoir jamais pratiqué le football au niveau professionnel. En effet, le natif de Barcelona au Venezuela et originaire de Madère où il grandit est passionné par le jeu d’un point de vue académique. C’est à l’âge de vingt-deux ans qu’il se lance dans le métier avec des équipes modestes de jeunes madériens. Sa carrière commence à battre des ailes lorsqu’il est embauché à Camacha, alors en division 3 portugaise. Ce poste représente les bases d’une longue aventure qui ne fait que commencer. A partir de là, il gravit les échelons du football portugais. Une première promotion à Chaves en seconde division, puis à Beira-Mar, dans l’élite.
Les exploits du Lusitanien n’ont pas manqué de taper dans l’œil du Sporting Club de Braga qui le recrute. C’est encore une classe supérieure pour lui puisque ce club cherche à lutter avec les colosses portugais. Et Jardim parvient effectivement à hisser les Bragais sur le podium en plus de bien s’illustrer en Europe, soit la deuxième meilleure performance de l’histoire du club. Rien que ça. Cette belle histoire au SCB n’aura malheureusement pas de suite, car les désaccords avec le président poussent notre Madérien à s’envoler pour la Grèce. A nouveau, une seule saison à l’Olympiakos, et le succès est aussi grand que bref. Le titre de champions de Grèce en poche, il retrouve son Portugal pour une pige au Sporting CP. Club qu’il retrouve dans un piteux état après l’une des pires saisons de leur histoire, une septième place et des grosses contraintes financières en prime. Qu’importe ! Jardim les guide à une deuxième place en Primeira Liga.
« Il faut cultiver son Jardim »
Après trois ans de telles performances, Leonardo Jardim ne manque évidemment pas de courtisans dans le Top Five. Il succède donc à Claudio Ranieri sur le banc de l’AS Monaco en 2014. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les investisseurs russes ont eu un sens de l’accueil assez particulier. Car le Madérien devra incarner la transition monégasque vers une stratégie radicalement opposée à celle qui avait amené les Quatre Fantastiques (James, Falcao, Carvalho et Moutinho) sur le Rocher. Ce « redimensionnement du projet » devant le spectre du Financial Fair-Play consiste désormais à l’achat-revente que l’on connaît aujourd’hui. Falcao est donc prêté avec option d’achat à Manchester United, quand James est vendu 90M€ au Real Madrid.
En parallèle, les débuts de Jardim sur le Rocher sont également difficiles sur le rectangle vert. Pointant à une triste dix-neuvième place après un mois de compétition, ses premières expériences sont décevantes. Moqué pour ses premiers résultats et pour son accent, Jardim redresse finalement la barre. Monaco termine troisième et atteint les quarts de finale en Ligue des Champions. Le Lusitanien fait théâtralement taire les critiques lorsqu’il déclare après sa non-nomination au prix de l’entraîneur de l’année : « Peu importe, j’aurais peut-être le prix du meilleur maçon portugais ».
La méthode Jardim
Tout au long de sa carrière, Jardim s’est dévoué à la cause du 4-4-2 à plat. Monaco 2016-2017 représente son climax. Dans les faits, son plan de jeu n’a « d’à plat » que le nom théorique, car les deux milieux centraux ne jouent que très rarement sur la même ligne. Fabinho était par exemple assigné à un rôle de numéro six, récupérait le cuir auprès des défenseurs et enclenchait la construction. L’autre milieu (à l’époque Moutinho), plus avancé, a quant à lui un rôle de box-to-box.
La philosophie de Jardim est sans conteste offensive. Lors des phases d’attaques, le milieu défensif, étant presque sur la ligne des défenseurs centraux, permet aux latéraux de monter. Par conséquent, les ailiers montent également pour former un 2-4-4. Enfin, les deux attaquants ont deux rôles distincts. Pendant la saison du titre, Falcao se positionnait en tant que pur neuf, quand Mbappé ou Germain étaient des électrons libres. En outre, Jardim invite les ailiers à parfois repiquer dans l’axe. Ainsi, tant de libertés données aux offensifs compliquent le travail des défenses en rendant le marquage individuel quasi impossible. La circulation de balle est de fait très fluide, et cause normalement rapidement des failles dans les intervalles adverses. La dimension verticale du plan de jeu du Madérien s’active alors pour atteindre la surface adverse en un minimum de passes.
Le Lusitanien se fait également une idée agressive des phases défensives. Durant celles-ci, la ligne des quatre milieux se déploie en marquage individuel tout en essayant au maximum de bloquer les intervalles. Les deux attaquants sont quant à eux chargés de presser l’adversaire, afin qu’il opte, par frustration, pour la solution aérienne. Enfin, les deux arrières centraux, restés assez bas, s’appliquent à récupérer ces balles hautes.
Madère des der’
Si le mercato estival 2017 de Monaco était déjà risqué, le mercato 2018 le fut sûrement trop. Le miracle avait pourtant opéré l’année passée. Monaco accrochait une seconde place dans ce finish palpitant entre monégasques, lyonnais et marseillais. Mais cette année, la mayonnaise ne prend pas. Tielemans n’éclot pas, l’infirmerie affiche « complet », et le Monaco de Jardim est relégable en octobre. Devait-on pour autant blâmer le tacticien ?
Monaco ne paie-t-il tout simplement pas les limites de sa stratégie économique ? C’est au moins certain que Jardim paie un mauvais mercato. Des éléments aussi importants que Fabinho – la base de la tactique de Jardim -, Moutinho et Lemar sont partis sans être véritablement remplacés. En face, la moyenne d’âge des recrues est de vingt-et-un ans. Ajoutons à cela un Glik vieillissant, un Raggi et un Jemerson catastrophiques, et des recrues qui ne brillent pas (quand elles ne sont pas blessées), il devient difficile de s’étonner des problèmes monégasques.
Quoi qu’il en soit, Jardim est remercié après quatre ans de bons et loyaux services, un titre de Ligue 1 et une demi-finale de Ligue des Champions plus tard. De son côté, l’AS Monaco désigne finalement Thierry Henry pour remplacer Jardim. L’ancien Gunner connaît bien la maison, pour y avoir été formé, et semble être le candidat parfait. Même si l’exercice de redresser un club peut être assez périlleux comme première expérience pour un tacticien, nul doute qu’il saura inculquer à son groupe un nouveau souffle afin de reconquérir le haut du tableau… Jusqu’à ce que la stratégie sportive monégasque ne saborde son projet l’été prochain ?