Évoluer en Primera División depuis sa création sans jamais avoir été relégué est déjà une très belle statistique, mais on y accorde encore plus de mérite quand on connaît l’autre spécificité de l’Athletic Bilbao. Le club compte dans son effectif uniquement des joueurs d’origine basque (selon la règle des grands-parents) ou formés dans des clubs basques (ce qui signifie bien souvent qu’ils y ont grandi). Comment survivre 120 ans en première division avec cette politique dans un marché toujours plus mondialiste ? L’Athletic Club détient quelques leçons à enseigner…
Paye la clause ou passe ton chemin
Tout club voulant s’attacher les services d’un des talents des Rojiblancos connaît déjà la rengaine : il faudra payer sa clause libératoire ou abandonner la piste. Ainsi, Javi Martínez (40M€), Ander Herrera (36M€), Aymeric Laporte (65M€) et plus récemment Kepa Arrizabalaga (80M€) sont autant de grands joueurs ayant quitté le club de cette manière pour des montants compensant largement les nombreux autres qui ont quitté le club libres, faute d’acheteurs voulant s’aligner sur leur clause. La position de l’Athlétic est compréhensible. En effet, emplacer un joueur-clé ne leur est pas chose aisée.
Le marché des joueurs basques n’offre évidemment qu’une fenêtre très restreinte pour les Lions. Non seulement le nombre de footballeurs basques est limité, mais chaque club en possédant, une fois approché par Bilbao, fera jouer la loi de l’offre et de la demande pour réclamer un prix bien plus élevé. Comme le club a toujours refusé de céder à l’inflation spectaculaire du marché des transferts, très peu de joueurs sont recrutés. Pourtant, le club se maintient dans l’élite.
Mieux encore, il a connu un grand âge d’or. Celui-ci dure de l’entre-deux-guerres jusqu’aux années 50, où ils ont remporté six titres de champions d’Espagne, plus tard rejoints par les exploits de 1983 et 1984. Plus récemment, à l’heure des réseaux de scouting internationaux et des offres astronomiques, ils sont de nouveau parvenus à truster les places européennes sous le règne d’Ernesto Valverde de 2013 à 2017. Quel est donc leur secret pour toujours bénéficier d’un très bon vivier basque ? Un excellent centre de formation, évidemment.
Un modèle qui attire les curieux
Un matin comme un autre à Lezama, le QG de l’Athletic Club. José María Amorrortu, le directeur sportif bilbayen explique à Sky Sports : “là, il y a le coach de QPR, la semaine dernière nous avions celui de Brighton, celle d’avant Swansea, et Bologne aussi. L’année dernière, c’est le Bayer Leverkusen qui est venu visiter. Ils viennent du monde entier”. Les particularités de l’Athletic Bilbao attirent bon nombre de professionnels du football qui viennent sur place visiter les infrastructures. Le club a même recruté du personnel spécialement pour guider ces “élèves”. Ils peuvent ainsi observer à quel point l’atmosphère créée dans ce complexe à l’est de Bilbao respire le football.
Jeunes et professionnels se côtoient, s’affrontent et se conseillent, le public passe les voir, les enfants courent après une balle. Le but ? Faciliter la transition de l’académie vers le monde seniors, qui a coûté cher à tellement de jeunes footballeurs pourtant pétris de talent. Car développer un réseau et signer le bon jeune n’est qu’une mince partie du travail. Ainsi, Bilbao a mis l’accent sur une philosophie mettant le plus de chances possibles du côté des jeunes de manière à en perdre le moins possible.
Car il faut garder à l’esprit que le vivier est limité : selon Michael Calvin, seuls 180 des 1,5 million d’enfants inscrits dans les clubs de football anglais atteindront la Premier League. Imaginez alors pour le Pays Basque. “Il doit y avoir un lien pour unir tous les joueurs du club” explique le directeur sportif. Et Lezama en est la plus pure illustration : “les garçons dans les équipes de jeunes doivent être assez proches de l’équipe A. Ici, il n’y a pas un bâtiment pour les jeunes et un autre pour les seniors, qu’ils aient 16, 17 ou 18 ans, nos jeunes cohabitent avec les A, il n’y a pas de barrière, tout le monde grandit ensemble”.
Casse-tête pour entraîneurs
Pour ne citer qu’un certain Jupp Heynckes qui, lors de son premier passage à Bilbao entre 1992 et 1994, s’y était cassé les dents (treizième puis dix-septième puis seizième), ce club est probablement plus difficile à entraîner que les autres, et de nombreux coachs en ont fait les frais. Et pour cause. Car signer à l’Athletic Club nécessite une plus grande capacité d’adaptation que n’importe où ailleurs. Si en accédant à vos fonctions, vous trouvez qu’il manque un ailier gaucher ou un défenseur central droitier et que le club n’en a pas, vous ne pouvez pas juste ordonner à vos recruteurs de s’activer sur une piste.
Car il y a peu de chance que le club parvienne à signer le profil de joueur requis. Il faudra donc s’adapter aux qualités du groupe plutôt que de se renforcer à coups de millions d’investissements. “C’est quelque chose qu’il faut accepter, indique Amorrortu, quelques fois, nous n’allons signer aucun joueur dans certains mercatos, ça fait partie du métier d’entraîneur à Bilbao.” A contrario, la structure du club fait que tous les joueurs se connaissent et se côtoient depuis le début, ce qui rend inévitablement la gestion d’un vestiaire plus simple. N’avoir jamais fait de grosse erreur dans le choix des coachs en 120 ans dans un contexte si particulier est donc un mérite de plus à accorder à ce club.
Une réussite qui n’est plus à prouver
Les deux seules autres institutions espagnoles étant toujours restées en première division ne sont autres que le FC Barcelone et le Real Madrid, et personne n’ignore à quel point ces deux-là dépensent sur le marché des transferts. À Bilbao, dès qu’une grosse somme est récoltée suite à un départ, on s’empresse de l’injecter dans les infrastructures pour la formation. De fait, un travail de longue haleine et des infrastructures de qualité leur a permis de tisser leur toile dans tout le Pays Basque jusque dans la partie française, faisant d’eux un réseau régional inégalable.
Et ce malgré la présence de 3 autres clubs basques en première division (Alaves, Real Sociedad et Eibar). Amorrortu déplore que “dans le monde du football, il n’y a pas de patience”. C’est pour cela qu’il use exactement de la philosophie inverse : dès qu’un joueur est repéré dans leur réseau de clubs satellites, son développement n’est pas précipité. Une fois qu’il aura prouvé là-bas, il pourra prétendre rejoindre l’équipe B de l’Athletic Club, et enfin, éventuellement d’être appelé en A.
Des paliers bien définis à gravir sans engouement malsain mais avec de la continuité, de la confiance et une opportunité laissée aux jeunes. Le tout dans une des meilleures académies du monde. Là est sûrement le clé succès. Succès qui se traduit par la présence d’environ cinq à septjoueurs formés au club dans le onze titulaire et une vingtaine pour tout le groupe A (soit le plus fort taux des 5 grands championnats), ou encore par la somme pour laquelle les meilleurs d’entre eux partent. De plus, les belles performances de l’Athletic B en Segunda, allant même jusqu’à la récente montée en Liga 2, ne font que prouver la pérennité de cette stratégie, malgré une saison 2017/2018 décevante chez les A.