A l’heure ou le football est devenu un réel business, où les prix pour assister à un match de Premier League sont exorbitants, où les recettes de droits TV permettent à un promu de dépenser plus de cent millions d’euros en l’espace d’un mercato, certains clubs disent stop. Mieux encore, certains supporters disent stop. Lassés de voir leur club détenu par des propriétaires avides de faire toujours plus de bénéfices et ne possédant aucun amour pour leur club, détruisant ainsi toutes ses valeurs, des supporters ont décidé de créer leur propre club. L’objectif ? Un retour aux sources du football populaire. En symbole, le FC United of Manchester. Retour sur les traces de ce club créé par des supporters de Manchester United, en opposition au rachat par la famille Glazer en 2005.
Malcolm Glazer comme point de départ
Nous sommes en 2000. Après avoir racheté en 1995 le club des Tampa Bay Buccaneers (NFL), un certain Malcolm Glazer décide d’investir dans le football. C’est Manchester United que choisit l’homme d’affaire Américain, rachetant ainsi 6% des parts du club. A l’époque, ce sont John Magnier et J.-P. McManus qui sont actionnaires majoritaires du club (28.9%). Les deux Irlandais sont des amis de Sir Alex Ferguson, et ont un grand attachement pour les Red Devils. Toutefois, années après années, Glazer obtient de plus en plus de parts et les fans s’inquiètent. Début 2004, l’américain possède plus de 19% du capital du club. Il affirme cependant ne pas vouloir devenir l’actionnaire majoritaire du club.
Cependant, quelques mois plus tard, Manchester United annonce que Malcolm Glazer Family Limited Partnership possède en réalité environ 27.63% du capital du club. A partir de 30% détenu, il est possible de lancer une OPA (opération d’acquisition de parts d’une société cotée en Bourse où l’acquéreur fait connaître publiquement ses intentions d’achat). Les supporters tentent tout pour éviter la vente de leur club. Ainsi, ils affichent des banderoles « not for sale » à Old Trafford ou manifestent avant les matchs.
Peu à peu, des soutiens se manifestent, dont Sir Alex Ferguson : « Nous ne voulons pas que le club soit au main de n’importe qui. Shareholders United est une chance. ». L’emblématique Ole Gunnar Solsksjaer en fait de même : « Je suis du côté des supporters et j’estime que le club est pour l’instant dans de bonnes mains. » Mais rien n’y fait. En avril 2005, Malcolm Glazer, détenteur de 76.2% du capital mancunien, rachète aux actionnaires les 24.8% restants. Le 12 mai 2005, la famille Glazer possède officiellement la totalité du capital de Manchester United.
« Une bande d’escrocs américains a volé notre club. »
Suite au rachat du club par la famille Glazer, les choses ont vite changé à Manchester. Le club s’est lourdement endetté. Fin 2017, la dette des Red Devils s’élevait à 561 millions d’euros. En résumé, Manchester United est le club le plus endetté au monde. Pourtant, les mancuniens sont parallèlement le club le plus riche du monde. Le club générerait annuellement aux alentours de 581 millions d’euros.
Pour renflouer les caisses du club, Manchester United est devenu un club encore moins accessible pour les personnes aux revenus limités. En effet, le prix minimum d’une place pour assister à un match des Red Devils à Old Trafford tombe rarement en dessous de 100£. Adam Quinn, supporter de Manchester United mais désormais bénévole au FC United of Manchester, affirme « qu’une bande d’escrocs américains a volé [son] club ». Si tous les supporters mancuniens n’ont pas rejoint le FC United en guise de protestation, un bon nombre d’entre eux ont décidé d’afficher à leur façon leur mécontentement face au rachat du club.
Green and gold
Prenons par exemple le « green and gold movement« . Ce mouvement est né quelques mois après le rachat du club par les américains et est encore légèrement d’actualité aujourd’hui. Il rassemble les « anti-Glazer ». Après le rachat, de plus en plus de commerçants ont vendus des écharpes jaune et vert, faisant référence aux premières couleurs de Manchester United. Ainsi, banderoles et écharpes furent agitées pendant les rencontres à Old Trafford.
La scène la plus mythique eu probablement lieu en 2010 lors d’un match de Ligue des Champions entre Manchester United et l’AC Milan. David Beckham, alors à Milan, a ramassé et mis autour de son cou la fameuse écharpe, provoquant une chaleureuse acclamation du « Theatre of Dreams ». Cependant, toujours selon Adam Quinn : « Je pense que Glazer se fiche de la couleur de ton écharpe. Tout ce qui l’intéresse, c’est la couleur de ton argent. Donc si tu est vraiment contre la politique économique du club, ne vas pas au stade. Selon moi, la vraie résistance aux Glazer est ici, au FC United. »
Mais alors en quoi consiste le FC United of Manchester ? Quels sont les principes de ce club, et où en est il à l’heure actuelle ?
Le FC United of Manchester : par le peuple, pour le peuple
Tout commence lorsque John Paul O’Neill, rédacteur au magazine Red Issue, un fanzine tenu par des supporters de Manchester United, propose une réunion dans un des centre commerciaux de Manchester afin d’envisager la création d’un nouveau club suite au rachat de Manchester United. Il parviendra à réunir 1500 personnes. Au terme de la conférence, O’Neill obtient 850 signatures.
Le 14 juin 2005, les membres choisissent « FC United of Manchester » comme nom officiel. Un peu moins d’un mois plus tard, le club dispute le premier match de son histoire ; un match nul (0-0) contre Leigh RMI. Le club parvient également à s’enregistrer à temps pour disputer la deuxième division de la North West Counties Football League, soit la dixième division Anglaise. En ce qui concerne l’équipe, 950 joueurs ont répondu présent à l’appel lancé par le club. Après plusieurs semaines d’observations par les différents signataires, seul 17 joueurs sont retenus pour disputer la première saison.
Des principes stricts pour éviter toutes dérives
Avant même de commencer sa saison, les membres fixent des règles afin que le club puisse suivre les principes qu’il défend. Ainsi, le club évitera de tomber un jour dans le foot business. La règle d’or qui fait que le FC United of Manchester est un club à part est que chaque membre à droit à un vote. Ainsi, pour 15£, vous devenez membre et avez le droit de prendre part à tout ce qui concerne le club. Absolument tout. Du choix de la tenue aux salaires des joueurs, en passant par le choix de l’entraîneur, du président et même du prix des places. A l’heure actuelle, le club compte cinq mille membres.
Ensuite, le FC United a pris la décision de ne jamais mettre de sponsor sur le maillot. Un sponsor aiderait le club à progresser et peut être monter dans des divisions supérieures, mais ce n’est pas l’objectif principal. Le club veut avant tout promouvoir son aspect familial. Il veut prôner le foot populaire et l’entraide. Par exemple, le service restauration du club emploie des personnes handicapées, afin de les aider dans leur insertion sociale. Alors qu’à Old Trafford ils seraient probablement rejetés, ils sont ici accueillis avec joie. Les membres du club ont ensuite fixé sept « règles d’or », que le club se doit de respecter pour honorer ses principes et ses valeurs.
Les sept règles d’or
– Les dirigeants sont élus démocratiquement par les supporters.
– Les décisions seront prises en respectant le principe : un homme, un vote.
– Le club développera une relation forte avec la communauté locale, sans aucune discrimination.
– Le FC United of Manchester veillera à pratiquer des prix d’entrée accessibles.
– Le club encouragera une participation des jeunes et des gens du cru, sur le terrain et dans les tribunes.
– Les dirigeants veilleront à ne pas verser dans la commercialisation à outrance.
– Le club restera toujours une association à but non lucratif.
De plus, voulant rester dans son optique de club populaire et représentant le Manchester du peuple, l’écusson du club représente les armoiries de la ville. Le bateau représente quant à lui le côté industriel de la ville de Manchester.
Un succès total
Débutant en dixième division, le FC United of Manchester est parvenu a enchaîner trois promotions consécutives afin de se retrouver au septième échelon de la pyramide footballistique anglaise. En 2015, et ce après avoir perdu à cinq reprises les playoffs consécutivement dont quatre fois en finale, le club est promu en sixième division : la Vanarama National League North. Si le FC United est en France totalement inconnu, il s’est fait connaître outre manche, en particulier en 2011. En effet, le club est parvenu à se qualifier jusqu’au deuxième tour de la FA Cup, éliminant notamment Rochdale, alors en D3, tandis que les mancuniens étaient en septième division. Ils tombèrent finalement face à Brighton. Les joueurs sont passés proche de l’exploit en accrochant le nul dans le sud de l’Angleterre avant de lourdement (et logiquement) chuter à domicile sur le score de 0-4.
Alors que le club louait le stade du Bury FC depuis sa création en 2005, les mancuniens parviennent à construire leur propre stade. Grâce à des collectes de fond, des dons des membres du club ainsi que l’organisation de cagnottes, le club réunit six millions et demi d’euros. Les membres élisent Broadhurst Park comme nom du stade. Le match d’ouverture est tout sauf un hasard. Il se déroule le 29 mai 2015 contre Benfica B, soit la date anniversaire de la victoire de Manchester United en finale de Coupe des Clubs Champions en 1968. Le résultat n’est cependant pas le même. Alors que les mancuniens s’étaient imposés 4-1 quarante sept ans plus tôt, les Portugais s’imposent 0-1 devant dans un stade à guichet fermés, devant quatre-mille-quatre-cent personnes.
Soutien populaire
Au niveau des affluences, on remarque que malgré la concurrence dans la ville avec les ogres que sont Manchester City et United, le club garde un public fidèle. La saison passée, le FC United possédait la troisième affluence de Vanarama National League, nord et sud confondus, avec 2109 personnes en moyenne et un record à 3044. Ils se placent derrière Stockport County et York City. Le record d’affluence de l’histoire du club en championnat est de 4108 fans contre Salford City, club basé également à Manchester. Pour l’anecdote, Salford City est détenu par les frères Phil et Gary Neville, ainsi que Paul Scholes, Ryan Giggs et Peter Lim (propriétaire du CF Valence).
En octobre 2017, après une série de mauvais résultats, le club a tourné une page de son histoire. En effet, Karl Marginson, entraîneur du club depuis sa création, résilie son contrat à l’amiable. Pour le remplacer, c’est l’attaquant Tom Greaves, meilleur buteur de l’histoire du club qui prend les rennes de l’équipe en tant qu’entraîneur- joueur : les joies de la Non-League !
Le FC United of Manchester est ainsi devenu le représentant du football populaire en Angleterre. Les supporters sont en faveur d’un foot populaire. Ce sont eux qui ne supportent plus les changements d’horaires en PL pour « arranger les chaînes de télévisions ». Ce sont aussi eux qui ne supportent plus la hausse continue des prix des billets. Car malgré le décès de Malcolm Glazer en 2014, sa famille possède encore 90% du capital du club et exerce la même politique qu’auparavant. Dans une ville où l’argent coule à flot dans les deux clubs phares, on se demande parfois à quoi rime le football… Un petit retour aux bases du football ne peut être que bénéfique. Alors si vous passez un jour à Manchester, vous savez ce qu’il vous reste à faire : vous ne le regretterez pas !