Milan, 19 avril 1989. L’arbitre Belge Alexis Ponnet siffle la fin de la rencontre et met fin au calvaire madrilène. Les 73 000 supporters présents à San Siro exultent. En s’imposant 5-0, ce n’est pas une humiliation que l’AC Milan vient de donner au Real Madrid, c’est une leçon de football. Une révolution orchestrée par un homme, arrivé un an et demi plus tôt tout droit de Parme. Il n’avait jamais connu la Série A avant que Silvio Berlusconi ne le choisisse comme successeur de Nils Liedholm. Ce soir-là, il a emmené l’AC Milan en finale de C1 pour la première fois depuis vingt ans. Retour sur le génie tactique d’Arrigo Sacchi, considéré par beaucoup comme un entraîneur révolutionnaire et l’un des meilleurs de sa génération.
Un illustre inconnu en Lombardie
C’est à Fusignano, le 1er avril 1946, qu’Arrigo Sacchi voit le jour. Issu d’une famille plutôt modeste, il a une enfance difficile. Son père part travailler tôt le matin et rentre tard le soir. C’est de lui qu’Arrigo tirera « la capacité à travailler dur, l’esprit du sacrifice, le goût de l’effort et le perfectionnisme ». En 1969, un drame touche la famille Sacchi. Le frère d’Arrigo, Gilberto meurt dans un accident de voiture. Sacchi s’intéresse au football très jeune. Il joue dans le club de sa ville natale, mais se rend rapidement compte que le football n’est pas fait pour lui. Ainsi, dès dix-neuf ans, le jeune italien s’intéresse davantage à la vision du football qu’à sa pratique.
Le premier poste d’entraîneur de celui que l’on surnommera « le mage de Fusignano » sera à Rimini lors de la saison 1984-1985, en troisième division Italienne, où il finira au pied du podium. Ensuite, c’est à Parme que Sacchi va imposer sa vision du jeu. Il permet aux Parmesans de monter en Série B en 1986, avant de finir à la 7e place de l’antichambre de la Série A. Toutefois, si Parme n’est pas promu en Série A, Arrigo Sacchi est bel et bien propulsé sur le devant de la scène lorsque Silvio Berlusconi, voyant en lui un grand potentiel, vient le chercher pour le faire signer à l’AC Milan. Nous sommes en juillet 1987, Arrigo Sacchi est à l’aube de révolutionner le football Italien et mondial.
Des objectifs bien précis
En tant qu’entraineur, Arrigo Sacchi possédait des objectifs très stricts, à l’image de ce qu’il demandait à ses joueurs. Ces objectifs sont au nombre de sept. Premièrement, Sacchi veut, en tant qu’entraîneur, améliorer l’homme et le joueur. Deuxièmement il veut pratiquer un football collectif. Ensuite, il faut pratiquer le football total. Le quatrième objectif de Sacchi est de « grandir à travers le protagonisme, car y arriver autrement est impossible ». Puis Arrigo Sacchi affirme vouloir être le « dominus de la situation » et être maître du terrain et du ballon. Enfin, son septième et dernier objectif est de « gagner avec respect, [et de]perdre avec dignité ». Ces objectifs seront respectés tout au long de sa carrière, avec plus ou moins de succès.
Une méthode qui ne fait pas dans un premier temps l’unanimité
Les premiers mois de Sacchi à Milan furent assez compliqués, tant les méthodes enseignées étaient incomprises par les joueurs. Les Lombards, éliminés de la Coupe d’Italie dès leur entrée en lice, seront également éliminés de la Coupe de l’UEFA, au deuxième tour par l’Espanyol Barcelone. En championnat, Milan s’accroche. Il aura fallu six mois pour que Gullit et ses coéquipiers comprennent la tactique de Sacchi.
Dès son arrivée, le « mage de Fusignano » brusque les joueurs en réalisant deux entraînements quotidiens alors que la moyenne du championnat était de quatre par semaine. Les joueurs auront de grandes difficultés à s’adapter à cette première révolution. Plus tard, Van Basten avouera : « En tant que joueur, c’était dur d’évoluer sous ses ordres, car c’était un perfectionniste qui demandait à ce qu’on donne tout à chaque entraînement ». La seconde révolution tactique de Sacchi est probablement la plus importante : il veut jouer un football offensif. Selon lui, « une victoire sans mérite ne vaut rien. » Ainsi, pourtant encore considéré comme un jeune novice, Sacchi vient briser les codes dans un pays où le catenaccio est roi.
« J’ai du convaincre, dans un pays qui pensait le foot en mode défensif, qu’une autre philosophie était possible, celle d’un jeu d’attaque. Il fallait convaincre que le foot était un jeu reposant d’abord sur une certaine idée du collectif. Un collectif tourné vers l’attaque. Il a fallu expliquer à des gens vivant et approchant le football d’une certaine façon que les connexions, les liaisons entre les joueurs, pouvaient renforcer finalement la sécurité et donc indirectement aussi le jeu défensif. »
La révolution tactique de Sacchi
Évoluant en 4-4-2, le jeu proposé par Sacchi est physique. L’Italien a toujours critiqué le marquage individuel, affirmant que cela étirait et déformait le bloc de l’équipe. La méthode Sacchi est de défendre en zone. Chaque joueur possède une zone prédéfinie sur le terrain, et chaque joueur s’occupe du joueur qui est dans cette zone. « Dans mon marquage en zone, le marquage était transmis de joueur en joueur à mesure que l’attaquant adverse passait dans différentes zones », relate le maître à jouer Milanais dans son autobiographie. De plus, l’équipe exerçait un pressing très haut, la ligne défensive se situant presque à la ligne médiane.
A la veille d’un Naples – Milan décisif pour le titre, Arrigo Sacchi est interrogé alors qu’il est au restaurant avec sa femme. Le journaliste lui demande quel joueur sera au marquage sur Maradona le lendemain. « Tout dépendra de la zone dans laquelle se trouvera Maradona quand il aura le ballon. Face à lui, il y aura un joueur, puis un autre. Il n’y aura jamais de marquage individuel chez nous » répondit-il. Le lendemain, Naples, équipe symbole du marquage individuel est totalement méconnaissable face à une équipe Lombarde en totale maitrise. Ce Milan se fera même acclamer par le San Paolo à la mi temps. Malgré un but de Maradona, l’AC Milan s’impose 2-3. Le Napoli plongera dans une spirale négative qui offrira le titre au coéquipiers de Carlo Ancelotti.
« Arrigo Sacchi est arrivé et il a tout changé. C’est lui qui a permis au football Italien de prendre un nouveau virage et de s’ouvrir à un jeu offensif. » (Claudio Ranieri en 2016 après son titre de Champion d’Angleterre avec Leicester)
Tous les principes défensifs Milanais étaient liés dans la quête d’un seul objectif : réduire constamment et au maximum l’espace alloué à l’adversaire. Sacchi voulait dominer, être le protagoniste du jeu et du terrain. Il fallait d’abord empêcher les adversaires de passer par l’axe. Ensuite, une fois que l’adversaire est parti sur une aile, il ne doit plus en sortir. Ce Milan était presque injouable. Dès sa première saison, Arrigo Sacchi remporte le Scudetto que Milan attendait depuis neuf ans. Avec seulement quatorze buts encaissés, Milan impressionne. Le Grand Milan est né.
Un succès immédiat…
S’il a fallu quelque mois aux joueurs pour s’adapter, la suite est pleine de réussite pour le Grand Milan de Sacchi. Durant l’été 1988, l’AC Milan signe Frank Rijkaard, tout juste champion d’Europe avec les Pays Bas. Il rejoint ainsi ses compatriotes Marco Van Basten et Ruud Gullit, et formeront le célèbre trio batave de Milan. Après avoir gagné le Scudetto la saison précédente, c’est l’Europe que vise Sacchi.
Alors que les premiers tours sont passés facilement, les rossoneri affrontent le Real Madrid en demi-finale. Au match aller, Milan est tenu en échec au Bernabeù (1-1). Emilio Butragueno, titulaire à l’époque se souvient : « Je jouais au Real Madrid depuis que j’avais onze ans, et je n’avais jamais vu, enfant ou adulte, une équipe venir imposer son jeu, venir nous attaquer, nous prendre le ballon et le terrain comme l’a fait Milan ce jour là. Nous étions sous le choc. » Au match retour, le Real n’aura pas autant de chance et s’incline 5-0. C’est une leçon de football que Milan et Sacchi ont donné ce 19 avril 1989. Ce succès est en partie due au pressing exercé par les Milanais, qui n’ont laissé aucune chance aux Madrilènes. En finale, Sacchi et ses hommes affrontent le Steaua Bucarest. Milan réitère la performance faite contre le Real et s’impose 4-0.
…et incontestable
En deux saisons, Sacchi aura mis fin a neuf années d’attentes de championnat et vingt ans d’attente de C1. La saison suivante, le scudetto échappe une nouvelle fois à Sacchi. Il parvient tout de même à créer l’exploit de remporter deux années consécutives la Coupe des Clubs Champions, cette fois ci contre le Benfica Lisbonne. Arrigo Sacchi est passé en l’espace de trois saisons d’illustre inconnu à membre éminent du panthéon du football. La suite est tout aussi glorieuse pour Sacchi, qui remporte la Supercoupe d’Europe pour la seconde année consécutive également, avant de remporter à deux reprises la Coupe Intercontinentale (1990 puis 1991).
Après avoir quitté Milan en 1991, Arrigo Sacchi s’engagera avec la sélection Italienne. Il parvient même à emmener la Nazionale en finale de Coupe du Monde 1994, perdue au tirs au but contre le Brésil… Le coach Italien aura ensuite plusieurs expériences sans le succès qu’il a eu du coté du Grand Milan. Il met définitivement un terme à sa carrière d’entraîneur en 2001.
Arrigo Sacchi est un entraineur qui aura révolutionné le football Italien, puis mondial. Encore aujourd’hui, il est la source d’inspiration de nombreux entraineurs tels que Carlo Ancelotti, Pep Guardiola ou encore Antonio Conte. En France, Christian Gourcuff est un fervent partisan du 4-4-2 du maitre à jouer Italien.
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