En perdant contre l’Atletico Madrid le 16 mai dernier à Lyon, l’Olympique de Marseille a malheureusement perpétué une tradition bien française : celle de ne pas réussir à s’imposer dans une finale européenne. Paradoxalement, c’est aussi la seule équipe ayant réussie à s’imposer dans la finale la plus prestigieuse du football mondial un soir de juin 1993. Cela mis de côté et une victoire de l’ennemi parisien en C2, l’histoire française en finale de coupe d’Europe se résume à une succession d’échecs et de déceptions. Pour trouver une première trace de cette mauvaise habitude, il faut remonter jusqu’à la toute première de ces finales, à Paris, en 1956 ; celle de la première Ligue des Champions, appelée à l’époque Coupe des clubs champions européens, où là, à l’instar des marseillais, un club madrilène vint éteindre les espoirs français.
L’avant-match
Organisée par le journal l’Equipe sous l’impulsion de Gabriel Hanot, cette première édition d’une compétition qui deviendra l’une des plus regardée et passionnante de l’histoire sportive mondiale n’est composée que de seize équipes au départ, toutes championnes de leur championnats respectifs. Vainqueurs du championnat français pour la troisième fois lors de la saison 1954/1955, c’est le stade de Reims qui représentera l’hexagone pour cette première édition, et qui est immédiatement classée comme favori pour remporter ce nouveau trophée dans une armoire à titre contenant, à l’époque, l’un des plus beaux palmarès en France.
Les rémois resteront les seuls invaincus jusqu’en finale, où, tour à tour, ils disposent de l’AGF Arhus, du Budapest Voros Lobogo SE puis de l’écossais de l’Hibernian FC avant d’affronter l’ogre madrilène et son artiste Di Stefano.
Mais les rémois de leur côté n’ont pas à rougir. Eux aussi ont leur arme, leur magicien qui fit du football le sport le plus populaire et qui posa les bases de ce qui aujourd’hui procure les plus belles émotions sportives qu’une nation puisse vivre ; Raymond Kopa. Celui que l’on surnommait le « dribbleur parfait » à une époque où l’un haïssait le dribble. Considéré comme le « moi » du football, l’ultime expression de l’égoïsme dans un sport collectif, Kopa tenta de changer les mentalités à ce sujet, comme le fit un certain Pelé quelques années plus tard dans un pays traumatisé par la défaite de son équipe lors de la première Coupe du Monde. Comme un héritage, un clin d’œil de celui qui s’apprêtait à vivre la première finale d’une coupe européenne.
Ce dernier se trouvait en revanche dans une position plus qu’originale : il avait signé son contrat quelques jours auparavant avec son adversaire du soir, le Real Madrid. Il avait même joué un match amical avec sa nouvelle équipe contre l’équipe brésilienne du Vasco de Gama.
Après un parcours (presque) parfait, le Real perdant son match retour à San Siro contre le Milan AC, les deux équipes se retrouvent dans la capitale française, chacune prête à décrocher ce titre inédit. Cependant, l’organisation d’une telle compétition fut ardue, une aventure où le Real Madrid eut un rôle prépondérant, une aventure pour unir l’Europe à travers un sport, comme un écho à la création d’une Union Européenne des décennies auparavant. Effrayé à l’idée de voir une telle compétition ébranler et devenir plus populaire que leur championnat, les anglais décidèrent de retirer leur champion de la compétition, le Chelsea FC. C’est le club polonais du Gwardia Varsovie qui les remplace. Mais c’est par l’élan d’institutions visionnaires que l’on ébranle les indécis, que l’on change les idées préconçues, que l’on révolutionne un sport, que l’on unifie une ville, un pays, un continent sous la bannière d’une cause commune.
L’ambition espagnole et la ténacité française ont cristallisés les majorités et permis à cette finale d’avoir lieu, et offert à de simples amoureux de sports de la possibilité de raconter des mémoires à leur descendance et de donner vie à des souvenirs enfouis dans une mémoire collective.
Emmenés par Kopa et Di Stefano, les rémois et les madrilènes entrent donc sur la pelouse du Parc des Princes, déterminés à se battre pour devenir la proue de ce nouvel élan continental.
Le match : la furia rémoise, la magie de Di Stefano
Le Brésil a Pelé, la France Kopa, l’Argentine, la Colombie de manière éphémère et l’Espagne eurent Di Stefano. Un joueur sans doute trop grand pour n’appartenir qu’à une seule nation, mais qui, lui et ses coéquipiers débutent ce match d’une manière catastrophique.
Le plan rémois était simple : éviter la solide défense centrale espagnole et insister sur les ailes avec Hidalgo et Templin, respectivement ailiers droit et gauche de l’équipe, comme chefs d’orchestre. L’objectif était d’éviter l’axe, et permettre au magicien de l’équipe rémoise, Raymond Kopa, d’être disponible et moins enfermé dans l’axe pour ainsi profiter du sens inné du but de ce dernier.
Le début de match du Stade de Reims est idéal et voilà que l’équipe se met à rêver. Par deux fois, les pieds français viennent propulser le cuir dans les filets espagnols gardés par Juan Alonso et ce lors des dix premières minutes. Jean Templin répond à la dixième minute à son coéquipier Michel Hidalgo qui ouvrit les hostilités dès la sixième minute sur un corner de Kopa. Le coup tactique d’Albert Batteux, l’entraîneur rémois, est parfait et fonctionne à merveille. Les madrilènes sont déstabilisés et totalement repliés dans leur moitié de terrain, ne voyant aucune solution s’offrir à eux pour contrer cette furia rémoise.
Oui mais voilà, le Real n’a jamais été du genre à abandonner, encore moins dans un match européen, tout inédit qu’il soit. Cette abnégation et cette capacité à se transcender face à la difficulté est dans l’ADN des Merengue. Cet ADN, nous en sommes encore témoin en 2018, c’est quelque chose de profondément ancré dans ce blason, dans ce stade du Santiago Bernabeu, et c’est un aspect unique que chaque joueur ayant le privilège de défendre les couleurs de la capitale espagnole se doit d’avoir. Et cela, Di Stefano l’avait.
Comme si cet instant était sien, celui qui, d’un coup de rein, d’un touché de balle, d’une frappe, décide de renverser le destin. Comme une manifestation de cela, Kopa eut même une balle de 3-0, arrêtée sur sa ligne par un défenseur madrilène ; un signe que ce soir-là, la victoire ne pouvait être française. Le destin ce soir, les rémois le pensait tout tracé, ils en étaient si proche, mais si loin.
Quatorze minutes que la finale a débuté, et Madrid vient réduire le score. D’une passe lumineuse, Marquitos offre à Di Stefano le but qui vint redonner l’espoir aux espagnols, et fit monter l’inquiétude chez les français.
Les madrilènes retrouvent leur football et parviennent à sortir de leur moitié de terrain : il ne faudra que seize minutes aux hommes de Llorente pour revenir à hauteur de Reims et remettre le compteur à zéro. On entend souvent aujourd’hui en regardant un match de football qu’à 2-0 rien n’est fait, qu’il est admis en revanche qu’un troisième but réglerait l’affaire. Les rémois furent les douloureux témoins de cette doxa, pourtant si près de marquer le fameux troisième but. Ce troisième but, c’est n’est pas Raymond Kopa qui l’inscrira, mais Héctor Rial d’une frappe imparable après un festival de dribbles dans la surface rémoise.
Arthur Ellis, l’arbitre de ce match, fit retentir son sifflet : c’est la mi-temps, cruelle pour les rémois, terriblement motivante pour les madrilènes.
L’espoir revient avant de s’évanouir définitivement
Ce qui s’est dit dans les vestiaires restera à jamais dans les mémoires des hommes présents à cet instant et dans les murs du Parc des Princes. Ce que l’on sait, nous, c’est que visiblement cette pause fit du bien aux français. Reims réussi à reprendre l’avantage en inscrivant son troisième but par l’intermédiaire de Michel Hidalgo. A ce moment précis, les supporters rémois auraient été dans leur droit d’espérer que ce but soit le dernier de la soirée afin d’entériner la victoire. Oui mais voilà ; rien n’est jamais décidé avec le Real Madrid, jamais. Les français n’eurent ainsi pas beaucoup de temps pour rêver puisqu’il ne fallut que cinq minutes aux ibériques pour à nouveau égaliser et continuer à écrire une légende, qui au-delà de son contexte de première finale, sera le théâtre d’un match spectaculaire entre deux équipes mythiques.
Passeur sur le premier but madrilène, Marquitos marque cette fois-ci son but et vient à nouveau intensifier le suspense dans un match qui n’en a jamais manqué. Nous sommes à la soixante-septième minute, il en reste vingt-trois aux vingt-deux hommes pour déterminer qui soulèvera la coupe aux grandes oreilles, pour inscrire ce but qui probablement sera le facteur X de cette finale.
A la suite de l’égalisation madrilène, cette finale devient propriété Merengue. Le Real domine outrageusement la fin de match, comme propulsé par une seconde égalisation, après avoir été mené au score une deuxième fois. Car oui ; l’abnégation madrilène, le coup de pouce du destin ; rien ce soir ne pouvait empêcher le Real de remporter la première de ses 13 coupes européennes. Les hommes de Batteux finirent par lâcher au bout de douze minutes après l’égalisation, Rial vient de marquer son deuxième but et offre pour l’instant le trophée aux coéquipiers de Di Stefano. C’est la seule fois qu’ils mèneront au score, et cette unique fois s’inscrira dans l’éternité puisque plus jamais les filets ne trembleront ce soir-là.
Battu dans son pays, le stade de Reims s’incline au Parc où les madrilènes furent les princes de la soirée. Des années plus tard et malgré la défaite, Raymond Kopa annonça que cette finale fut la plus belle qu’il eut la chance de jouer durant son immense carrière, lui qui se consolera trois ans plus tard en gagnant sa première coupe d’Europe contre son ancien club, le Stade de Reims. Intraitable, les madrilènes.