« De tous les points du globe partaient maintenant des solitaires, des corporations, des sectes, des bandes vers la terre promise, où il suffisait de se baisser pour ramasser des monceaux d’or, de perles, de diamants; tous convergeaient vers l’Eldorado » écrit Blaise Cendrars dans son excellent livre de de 1925 L’Or. C’est aujourd’hui d’un autre eldorado dont je veux parler. Celui dans lequel nombre de jeunes joueurs innocents tombent quand sous leurs pieds ils rencontrent l’Europe. Oui, c’est bien celui du football qui est visé. Car l’amour, l’argent, la mort et l’envie s’entrecroisent dans cet immense désert qu’est celui de la croyance.
Il est un pays où le football est doré
Tous les ans, ils sont des dizaines. Des dizaines de gamin qui rêvent de passer professionnels. Certains arrivent en Europe cachés dans les containers, en charter, dans les valises d’agents véreux. D’autres sont enfants des quartiers pauvres de Buenos Aires, de Montevideo ou de Salto. Et tous n’ont qu’un seul rêve. Celui d’un jour de connaître l’Europe. Les lumières de la scène, du stade et des médias. Et les paillettes des cocktails. Oui, ce sont avec des étoiles dans les yeux que les gamins rêvent de devenir un jour des superstars du football. Mais malheureusement, ce n’est pas toujours par amour du jeu. Car parfois, c’est l’amour du fric qui fait vibrer l’entourage du joueur. Et c’est ça l’eldorado du football. C’est la croyance que cet argent tant attendu va tout résoudre. Et malheureusement ce n’est pas le cas. Car cela ne fait que créer les problèmes.
Mais aujourd’hui, dès leur plus jeune âge, les gamins ne rêvent que d’une chose. Gagner beaucoup d’argent, et retourner chez eux. Et c’est avec cette pression que les gamins jouent. Car leur famille vient leur mettre le couteau sous la gorge. Comme l’expliquait Emmanuel Adebayor dans le documentaire Ma Part d’Ombre, ce phénomène est courant en Afrique. Car le jeune joueur est une source d’argent facile. Et, souvent empêtrés dans des économies nationales de rente post-coloniales, les joueurs deviennent des mines d’or. Mais des filons qui, outre un tarissement rapide, est surtout possibilité de tout rater. Car le football est un jeu absolument fabuleux. Mais ne doit pas devenir pour autant un jeu d’argent. Ce n’est pas facile pour un môme de quinze ou seize ans de s’en rendre compte. Surtout quand ses agents sont des vautours sans vergogne. Chose malheureusement trop courante…
Eldorado, suicide, espoir
Concentrons notre réflexion sur les jeunes qui arrivent en Europe. Un des clubs les plus emblématiques de ce phénomène est sans doute le FC Porto. Car le FC Porot recrute nombre de joueurs d’une petite vingtaine d’années venus de toute l’Amérique du sud. Ces joueurs arrivent déracinés. Ni famille, ni amis, ni personne à qui se confier. Si ce n’est des agents, souvent véreux, parfois pas nets. Certes, il y a des gentils. Mais ceux-là sont monnaie bien trop rare. Et quand ils arrivent à percer au haut niveau, s’ils y arrivent, les joueurs sont soumis au diktat de leur famille, de leur entourage et de leurs conseillers. C’est contre cet entourage qu’il faut se battre. Car c’est lui qui fait miroiter aux jeunes joueurs cet avenir rose qui, malheureusement, est inexistant, sauf peut-être dans les livres. Des livres d’histoire qui ne sont vraies qu’une fois sur cent.
Le football est l’eldorado moderne. Ce n’est plus vers le Klondike que tous se précipitent mais vers les vertes vallées d’Europe. Car c’est l’argent, toujours, moteur d’une humanité cupide, qui rassemble et divise. L’argent fait tout. Ce monde-ci, le même pour tous, nul des Dieux ni des Hommes ne l’a fait, mais il est et sera toujours un feu éternel s’allumant et s’éteignant dans la lueur de l’argent, aurait dit Héraclite. Et le jour où l’argent arrivera à sa perte n’est pas arrivée. Mais n’allez pas croire que l’économie du football est nocive parmi tant d’autres. Elle est simplement l’expression sociale d’un capitalisme passé. Mais ne digressons pas. Car cette pression est nocive humainement ; elle conduit certains aux suicide, et va victimiser les autres en les enfermant dans une situation de demande-don. Alors, les footballeurs ne sont pas à plaindre. Mais ils ne sont pas toujours dans des situations rêvées.