Petite plongée dans le passé. Nous sommes en 1860. La France vient juste d’annexer le comté de Nice et de récupérer la Savoie. C’est également l’année de naissance du grand, du génial, du fantastique Anton Tchekhov. Et pour compléter notre aperçu, c’est aussi en cette année que le philosophe Arthur Schopenhauer décède. Cependant, alors que la vie suit son cours, le sport commence à s’organiser. Et notamment le football, le sport qui deviendra roi quelques décennies plus tard. Tournons notre planisphère sur l’Angleterre. Et plus précisément sur les villes de Londres et de Sheffield. Retour sur la difficile invention du football.
From Public Schools
Il faut bien comprendre la société des années 1860. La révolution industrielle a commencé près d’un siècle plus tôt, avec l’invention de la machine à vapeur par James Watt. En 1858, Étienne Lenoir donne naissance au moteur à essence. Les grandes cités-dortoirs, qui n’avaient rien à envier à celles de banlieue parisienne commencent à devenir la norme. Pourtant, le football, lui, n’est réservé qu’à une élite : celle des élèves des Public Schools (les lycées britanniques les plus prestigieux) ainsi qu’à quelques médecins ou pharmaciens. Et là encore, ce n’est pas toute l’Angleterre qui connaît le développement de ce sport. Si la pratique d’un embryon de football reste cantonnée au frontières de l’île, elle est surtout concentrée à certains endroits. Ceux-ci sont principalement Londres et le Yorkshire. Et d’ailleurs, lorsque le football est pratiqué, les règles ne sont pas réellement fixées. Et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, l’on ne sait pas exactement s’il convient ou non d’utiliser les pieds et les mains. Mais également, l’usage de la force physique n’est lui aussi pas du tout codifié. D’ailleurs, les écoles, qui sont les principales garantes des lois du jeu, ont chacune leurs propres règles. Et si certaines – peu nombreuses – souhaitent unifier les règles, ce n’est pas le cas de la majorité du tout. Car chaque école considère que ses lois du jeu sont garantes de l’esprit de l’établissement. A Eaton, par exemple, le Wall Game est conçu à cause… du mur d’enceinte de l’établissement ! Et de toute manière, cela ne sert pas à grand chose. Car des matchs entre écoles n’existent pas avant 1860, à l’exception notable du match annuel entre la Rugby School et la Marlborough School. Il faut d’ailleurs préciser quelques éléments à propos de ce match annuel.
Rugby vs. Marlborough
Le match annuel entre la Rugby School et la Marlborough School est considéré par certains comme un élément déterminant de l’unification des règles du football. Car il forçait en effet les deux écoles à adopter, au moins le temps d’un match, des règlements communs. Et ce afin de permettre un développement optimal de la partie. A ce sujet, en décembre 2001, Adrian Harvey, dans The International Journal of the History of Sport, écrit un article, intitulé : « An Epoch in the Annals of the National Sport » : Football in Sheffield and the Creation of Modern Soccer and Rugby ; qui pose les bases de l’originalité de cette pratique. Si l’on n’a cependant pu trouver trace des scores exacts ni des règles, qui bougeaient selon les années et selon l’équipe qui réceptionnait, on estime que le jeu pratiqué était à mi-chemin entre la sioule, le rugby, le football et le handball. Soit à peu près n’importe quel sport avec un ballon et un but.
Mais, à la fin de leurs études, nombre de jeunes hommes ont souhaité procéder au développement de ce sport qu’ils avaient tant apprécié plus jeune. Globalement, il existait à l’époque deux écoles de pensée : celle du Football Association (le football actuel, terme que l’on retrouve dans l’acronyme de la FIFA) et celle du Football Rugby. La dernière, poussée par la Rugby School, qui lui a donné son nom, donnant bien évidemment naissance à ce que l’on nomme aujourd’hui le rugby. La scission entre les deux écoles de pensée marque surement le début de l’antagonisme traditionnel entre fans de football et fans de rugby. Même si rien n’est manichéen, chaque école rejette à l’époque en bloc ce que l’autre propose.
Sheffield Old Boys
Les Old Boys, les anciens écoliers, s’établissent alors en tant que médecins, notaires, avocats ou autres professions traditionnelles du haut de la classe moyenne britannique. Les premiers clubs de type Association sont crées dans la fin des années 1850. Notamment le Forest Club et les Old Harrovians à Londres. Et ailleurs, dans le Yorkshire, à Sheffield, le football aussi tend à se développer. Le Sheffield FC, où Paul Dietschy compte « presque 30% des membres [qui] avaient fréquentés la prestigieuse Sheffield Collegiate School », est une des bases principales du développement du football en Angleterre. D’ailleurs, le plus vieux club de football au monde est le Sheffield Wednesday, fondé en 1847. Forcément, comme dans tout grand club, des assemblées générales se tiennent, et, lors de celles ci, un point particulièrement important est abordé. Vous l’avez deviné, il s’agit des règles.
D’autant plus que le club de Sheffield cherche à affronter ses voisins, et donc doit trouver des règles bien communes. Paul Dietschy encore note avec humour que ce point est particulièrement important du fait du très grand nombre de notaires ou d’avocats dans les équipes ! Adrian Harvey toujours, écrit sur les efforts de la codification :
Le premier code imprimé le fut à l’école de Rugby en 1845 et en 1856 la plupart des public schools avaient imité cette réalisation.
C’est ainsi que le football commence à se codifier. Et grâce à deux ou trois lieux, à savoir Londres, Sheffield et Rugby, le football tel que nous le connaissons aujourd’hui, ainsi que son cousin le rugby, prennent naissance. Et c’est bientôt que les lois du jeu telles que nous les connaissons, avec leurs petits numéros, vont apparaître. Mais ça, c’est une autre histoire !