Le football polonais n’est pas né avec Robert Lewandowski. En effet, aussi bon l’avant-centre bavarois soit-il, il a eu des prédécesseurs plus qu’illustres. Et si l’on parle beaucoup de Zbigniew Boniek, c’est cependant un énorme oubli envers celui qui a peut-être l’un des meilleurs joueurs de tous les temps. Car Kazimierz Deyna, puisque c’est de lui dont il s’agit, a été plus qu’un simple joueur. Il a été l’idole d’un peuple, le symbole du pays, le talent pur.
Injure
C’est une injure au football que fait le brésilien Pelé quand dans sa sélection de joueurs pour les cent ans de la FIFA, le seul Polonais est Zico Boniek. Car il oublie quand même un joueur qui a été élu en 1994 « Meilleur footballeur polonais de tous les temps ». Il n’a certes peut-être pas l’aura à l’étranger de l’ancien de la Juve, mais l’histoire de Kazimierz Deyna mérite d’être contée. Il faut d’abord s’imaginer la Pologne de 1947. Un pays encore profondément meurtri par la guerre. Une population usée par les affreuses souffrances. Et surtout, un Staline délirant à la tête de l’Union Soviétique. La guerre froide vient de prendre naissance, et la Pologne est aux premières loges. Boleslaw Bierut, président du gouvernement provisoire, est à la tête de la Pologne. Il demande d’ailleurs de l’aide aux soviétiques afin de falsifier les résultats qui lui sont défavorables.
Et c’est dans ce contexte qu’un jeune garçon nomme Kazimierz va voir le jour en Poméranie. A quelques kilomètres de la Baltique, dans cette ville de quelques dizaines de milliers d’habitants, Franciszek, humble laitier, et Jadwiga, vont donner naissance à un de leurs six enfants. La moitié d’entre eux finiront footballeurs. Et à onze ans, le petit Kazimierz Deyna va prendre sa première licence au Włókniarz Starogard Gdański, le club de sa ville. Avec ses frères, il s’amuse sur le terrain. Et son maillot floqué du numéro 10, déjà, à l’époque, est celui d’un joueur au dessus de la moyenne. C’est d’ailleurs suffisant pour que la sélection junior de la Pologne lui offre sa première cape. Et lors de ce match, il se distingue, et le ŁKS Łódź lui offre son premier contrat professionnel en 1966. Le 8 octobre, il dispute son premier match contre le Gornik Zarbrze.
Général et Lieutenant
Mais il faut rappeler le contexte. La Pologne est soumise au joug soviétique, et un régime à tendances dictatoriales est en place. Et donc, l’armée domine. Et le service militaire est par conséquent obligatoire. Mais Deyna, en 1966, n’a toujours pas effectué son service militaire. Et, assez finement, il faut l’avouer, le plus grand club de Pologne, qui est aussi le club de l’armée, à savoir le Legia Varsovie, peut, en l’appelant pour le service militaire, s’attacher les services de Deyna. En effet, le club étant constitué en majorité de militaires, il est considéré comme une part intégrante de l’armée polonaise. Comme le Bataillon de Joinville en France. Lors de sa première saison, il s’impose peu à peu comme un titulaire indiscutable. Auteur de 7 buts en 13 rencontres, il fait partie des meilleurs buteurs de l’effectif.
Et c’est en 1967 que celui qui est sous-lieutenant de l’armée polonaise prend réellement son envol. Il connaît en effet ses premières capes avec le maillot blanc et rouge de la Pologne. Et à partir de cette saison, il jouera au moins 23 rencontres de championnat par an, et ce jusqu’à son départ. Et son palmarès suit cette progression, avec d’abord deux titres de champion avec le Legia, puis une Coupe nationale. Surtout, celui qui porte le numéro 10 au Legia joue la Coupe d’Europe, et atteint les demi-finales de l’édition. Les joueurs du Legia éliminent notamment les français de Saint-Etienne, avec un but et à l’aller et au retour de celui que la presse française se met à surnommer Le Général.
L’Aigle Deyna
Surtout, Deyna est impressionnant dans tous les compartiments du jeu. Il marque aussi bien sur phase arrêtées que dans le jeu, grâce à ses frappes sèches et brossées. Ses corners enroulés, qui arrivent régulièrement au fond des filets, lui font gagner le surnom de « croissant » par la presse polonaise.
Mais c’est avec la sélection polonaise que Deyna écrit les plus belles pages de sa carrière. International depuis 1968, il dispute sa première compétition en 1972, lors des Jeux Olympiques. A l’époque, les pays alignent encore leurs équipes types. Il est d’ailleurs élu meilleur joueur de la compétition, en plus de terminer meilleur buteur, avec 9 réalisations. Kazimierz Deyna contribue donc grandement au premier sacre olympique en football de la Pologne.
Et la Coupe du Monde 74 sera du même acabit pour le polonais. Avec une troisième place acquise contre le Brésil, celui qui porte depuis 73 le brassard de capitaine de la Pologne réalise une des meilleurs performances sportives des Białe Orły. D’ailleurs, cette année là, comme l’année d’avant, il remporte le titre de meilleur joueur polonais de l’année.
En 1976, la Pologne réalise à nouveau une excellente performance aux Jeux Olympiques, avec une deuxième place. Malheureusement pour Deyna, le mondial 78, qui sera son dernier, sera aussi le moins abouti, avec une triste élimination au deuxième tour. Ce qui n’empêche pas Deyna de comptabiliser 85 sélections avec les aigles, pour 33 buts – hors Jeux Olympiques. Il est donc à ce jour le sixième joueur le plus capé du panthéon polonais. Pas étonnant, donc, qu’en 1974, il finisse troisième au ballon d’or derrière Cruyff et Beckenbauer.
110 000£ et du matériel de bureau
C’est le prix que paye Manchester City pour recruter Kazimierz Deyna en 1978. En effet, Deyna, 31 ans, après avoir dû refuser des offres du Real Madrid ou de l’Inter de Milan est enfin autorisé par le régime à jouer à l’étranger. Mais il n’est pas pour autant libre de choisir son club de destination. Là encore, le parti a son mot à dire. Et le mot du parti sera : « Manchester City ». Celui qui, peu avant Osvaldo Ardiles, est un des premiers étrangers à évoluer en Angleterre, impressionne tout de suite. En effet, sa vision du jeu et sa technique restent encore excellentes. Si sa première saison est honnête sur le plan statistique (17 matchs, 7 buts), sa deuxième se révèle également d’assez bonne facture. Après avoir permis au club d’échapper à la relégation, il joue 22 matchs et marque 6 fois.
Mais cela n’est pas suffisant pour convaincre l’entraîneur John Bond. En effet, miné par les blessures, il est poussé sur le banc par le technicien anglais. Les fans, mécontent du traitement de leur idole, gardent en mémoire ce joueur culte. En effet, après seulement trois matchs lors de sa dernière saison, Kazimierz convient avec sa direction de quitter le club. Après 42 matchs seulement et 13 buts, il quitte l’Angleterre. Et si Deyna garde encore l’étiquette du joueur du Legia (389 matchs, 141 buts), il fait aussi partie de la catégorie des joueurs marquants des Skyblues.
Outside The Wall
Et Kazimierz Deyna va véritablement quitter le monde communiste en 1981. En effet, le talentueux milieu offensif polonais va rejoindre les Etats-Unis. C’est non loin de Los Angeles, à San Diego, que le Général va signer. Cela sera d’abord un passage dans le club de soccer. Pour 35 000$, une somme qui paraît dérisoire aujourd’hui, il va distiller son talent. Véritable star, il retrouve le statut qu’il avait en Pologne, au Legia Varsovie.
Son talent dépasse même le cadre du football. Car il va tourner dans un film, A nous la victoire, au côtés de Pelé, Moore, et, encore lui, Osvaldo Ardiles. Ses pieds représentent une révolution dans ce football américain qui peine à se lancer. Forcément plus buteur, il marque à 44 reprises en 90 apparitions sur les terrains en herbes et synthétiques d’Amérique du Nord. Il obtient ainsi une nomination, en 1983 et 1984, un maillot pour les All Stars Game. Et surtout, en 1983, il remporte le titre de champion.
Arrivant physiquement un peu en fatigue, il est cependant obligé de mettre fin à son engagement dans le football à onze. Mais ce milieu amoureux du football ne cesse pas toute activité liée à ce si beau sport. En effet, le Polonais s’engage, toujours à San Diego, avec la franchise de football en salle. Et le talent du polonais reste présent. Mais le talent va bientôt s’éteindre. En effet, après avoir terminé son passage au San Diego, le polonais va se mettre à boire. Oublié de tous, il va mourir dans un accident de voiture, ivre, en septembre 1989. La fédération polonaise n’honorera sa mémoire qu’a posteriori.
Mourir oublié alors que l’on a été le plus grand joueur de l’histoire de son pays, voilà le tragique destin de Kazimierz Deyna. Adieu une dernière fois, Général.