Le football, c’est un sport, certes. Mais cela n’est pas que ça. Je l’ai déjà écrit il y a quelques jours, c’est aussi un jeu. Et plus qu’un jeu, le football peut aussi avoir une vertu sociale. C’est à ce sujet que nous allons nous intéresser dans les mots à venir.

Sortir de la réalité du quotidien

Le premier moyen d’analyser la vertu sociale du football, c’est de voir dans quelle mesure le football permet de sortir de la réalité du quotidien. Celle-ci s’exprime de plusieurs manières. D’abord, il peut y avoir l’échappatoire procurée par une partie de football. A chaque match que nous regardons devant notre téléviseur, que nous vivons dans un stade, la vie est laissée à l’écart. Il n’y a, pendant 90 minutes plus le temps additionnel, rien d’autre que le football qui compte. Les problèmes de la vie courante n’ont plus cours lorsque le ballon roule sur le terrain. Et socialement, cela permet de rendre la vie de chacun plus facile. Pour reprendre le néologisme de François Jullien, il s’agit de « décoïncider d’avec soi-même ». C’est ce qui nous permet de respirer, de vivre complètement notre vie, et parfois aussi de sortir de la réalité de l’existence.

La deuxième vertu sociale du football dans la sortie de la réalité du quotidien s’effectue à chaque fois que nous rentrons dans un stade ou dans un bar pour soutenir notre équipe. Laissés, les clivages politiques. Laissés, les clivages intellectuels. Et laissés, les divergences d’opinion. Pendant quatre-vingt-dix minutes, tous les cœurs battent pour une seule et même raison : le club aimé. Cela permet aussi de réaliser sur la question de la vie. La futilité du quotidien est laissée dans le football. Car, comme le veut le proverbe  : « Le football n’est pas une question de vie ou de mort : c’est beaucoup plus important ». Et, pour reprendre la formule de Malraux : « Nos raisons de vivre sont parfois aussi nos raisons de mourir ». Et ce moyen socialement de relativiser grâce au football permet aussi parfois d’éviter que les situations ne dégénèrent : le football est une catharsis. Personne ne tiendra rigueur des mots.

Être entre vie et mort

Le football fait disparaître chaque classe sociale. En effet, patron comme employé peut supporter le même club. Et donc, les différences sur le plan social vont disparaître. Car chacun va vivre et mourir au rythme des matches de son équipe. Chaque supporter va se sentir mourir à chaque but encaissé par son équipe. Et chacun va se sentir revivre en voyant son équipe réaliser des performances de haut niveau. En fait, le football est une manière de se préparer à sa mort. Chaque fin de match est une petite mort. Dans un monde où les spiritualités tendent à disparaître, ce n’est pas plus mal finalement d’être avec le football préparé à ce jour inconnu de son décès. De savoir comment mourir. Et de savoir aussi comment la vie va continuer pour les autres. Tristes réflexions. Mais pourtant tellement importantes.

La seule chose que nous savons de notre avenir, c’est qu’un jour nous allons crever. Et là aussi, le patron et l’ouvrier sont sur un pied d’égalité. Et si la vie n’est qu’un jeu, alors le football est sans doute celui qui est le plus adapté à la recevoir. Mais, je l’écrivais déjà il y a quelques temps :

Et la musique, comme le football, et avec l’amour, sont les trois choses qui nous font oublier que l’on va mourir. Quoi de plus beau que sur son lit de mort d’avoir les splendides accords d’une tragique symphonie. Quoi de beau que de naître dans une famille aimante. [Et] quoi de plus beau que de vivre les réussites et les déchéances de son club…

C’est impressionnant cette propension de chacun à se répéter dans ses écrits. Sartre disait que les pages que nous écrivons à un jour de notre vie, nous les réécrirons toujours. Peut-être est-ce aussi le cas pour le football : chaque match ressemble à rien de plus qu’un autre.

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