L’analyse tactique est un domaine très intéressant dans le football, surtout quand elle s’applique aux grands matchs. Hier, deux maîtres tacticiens, dans un combat de l’élève contre le « Profe », se sont affrontés. Le Real Madrid de Zinedine Zidane s’est imposé face au Bayern München de Carlo Ancelotti. Et, comme nous l’avions fait pour Paris – Monaco, nous avons décidé d’analyser ce match.
Marcelo, piston et homme du match
Le premier point est bien évidemment le rôle de Marcelo. En effet, le latéral gauche brésilien à fait vivre un calvaire à l’aile droite du Bayern. Nous reviendrons d’ailleurs un peu plus loin sur le travail de cette aile droite. Mais avant tout, Marcelo. Le latéral virevoltant n’est plus à présenter. Mais c’est surtout son abattage qui a été fantastique. D’abord, sur le plan défensif. Il y a eu un premier sauvetage devant Alcantara qui s’en allait ouvrir la marque alors que Navas était battu. Et le latéral brésilien de récidiver. En effet, sur une autre action, son gardien costaricain était encore battu. Et Marcelo de dégager, d’une tête rageuse sur sa ligne, le ballon loin de son camp. Cela pose la question du positionnement. Souvent critiqué pour ses largesses défensives, Marcelo a hier effectué un match plein sur le plan défensif.
Mais ce n’est pas tout. Car sur le plan offensif, le numéro 12 du Real a fait bien des misères à la défense du Bayern. En même temps, cela n’est pas rare de la part du brésilien. Mais c’est sans doute une des clés du match pour les merengues. Car par ses accélérations rageuses, notamment celle ou il effectue une passe décisive pour Ronaldo, il a mis en danger la défense du Bayern. Il se distingue en effet des arrières latéraux classiques, et de leur combinaison débordement-centre pour venir rentrer dans l’axe et frapper. C’est beaucoup plus dans un rôle de « latéral axial » qu’il a permis hier au Real de Madrid de s’imposer. Pas étonnant, donc, de le voir par beaucoup nommé homme du match. Surtout, cela est encore plus beau vu le travail derrière qu’il a effectué. Un joueur comme cela dans son équipe, c’est un plus indéniable.
L’aile droite du Bayern
Le second point, je l’avais amorcé, est l’aile droite du Bayern. En devant défendre face à Marcelo et Isco – nous y reviendrons – , on aurait pu s’attendre à un jeu ultra-défensif de la part du couloir Robben-Lahm. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. En effet, à moult reprises, on a pu voir Lahm jouer très haut, laissant presque complétement la défense – la aussi, nous y reviendrons – pour se consacrer à l’attaque. Mais cela est avant tout dû au positionnement de Robben. En effet, le virevoltant ailier néerlandais a eu un positionnement assez atypique. Souvent, ses courses partaient de très bas, pour venir rentrer dans l’axe et essayer de trouver un partenaire. Mais en bout de course, l’ancien du Real n’a que peu trouvé le chemin de l’attaque. Souvent esseulé, enfermé dans son crochet stéréotypé, le chauve n’a pas été transcendant.
Au contraire de Philip Lahm. Comparons les positionnements, grâce aux heatmaps des joueurs, leurs positionnements. D’abord, celle de Robben. Le néerlandais a, comme on l’a vu, préféré jouer assez bas sur le terrain. Tout le contraire de Lahm. L’arrière droit allemand a en effet eu un jeu beaucoup plus latéral, certes, mais qui laissait aussi beaucoup plus de place à l’attaque. La majorité de ses ballons sont touchés dans la même zone que Robben, et aux extrêmes abords de la surface, le nombre de ballon touchés y est comparable. Au total, Lahm a touché 94 ballons et Robben 86. Et c’est sans doute cette aile droite déséquilibrée qui n’a pas permis au Bayern de faire la différence. Ainsi, par comparaison, Ribéry, qui n’a joué que 68 ballons, les a joué aux abords immédiats de la surface, légérement décalé à gauche, bien évidemment.
Le positionnement offensif du Real & Benzema face à Lewandowski
Le Real de Madrid a joué dans un système un peu bâtard. En effet, évoluant dans une espèce de 4-4-2 modulable en 4-3-3. Isco n’a pas réussi à se projeter comme un véritable ailier droit. Sur sa heatmap, la majorité des ballons sont joués aux 40 mètres, sur toute la largeur du terrain. C’est cela sans doute que Zidane n’a pas réussi à faire. Parce que les ballons touchés par Ronaldo le sont exactement aux mêmes endroits. Sans se marcher sur les pieds, les deux ont eu un style complètement anormal pour leur style habituel. On était d’avantage dans un 4-5-1 avec deux meneurs de jeu un peu excentrés que dans un bon vieux 4-3-3 si cher à Guy Roux. Cela a fonctionné, par le génie de Ronaldo et par la réduction du Bayern à 10, mais cela ne fonctionnera peut-être pas contre une Juve, un Atletico ou un Barça…
Ce match était aussi l’occasion de voir s’affronter deux des trois meilleurs numéros neuf de la planète. Et les deux ont fait un match très différent. A gauche, Benzema, 29 ballons joués. A droite, Lewandowski, 32 ballons joués et un but sur pénalty. Si leurs heatmaps sont comparables, pas du tout leur match. Benzema s’est mué, comme ses deux comparses d’attaques, en numéro 10. Mais quand le Polonais recherchait le collectif pour être décisif, le patriote fiscal a préféré lui s’effacer au profit de ce collectif, quitte à faire un match où il n’est pas décisif mais voir les siens s’imposer.
La tactique du Bayern : faite pour jouer à 10 ?
Le dernier point que je souhaitais aborder est celui-ci. Le Bayern est-il la seule équipe au monde à être faite pour jouer à 10 ? Même si elle s’est inclinée en infériorité numérique, elle n’a pas semblé débordée mais plus fatiguée. Cela est sans doute dû au positionnement à trois derrière. Car jusqu’à la sortie de Xabi Alonso, le Bayern jouait en 3-4-3, avec une charnière Boateng-Alonso-Hummels. En relanceur un peu avancé, il semblait être le troisième larron de cet axe à trois, permettant justement, comme on l’a vu plus haut, aux arrières latéraux de se donner complétement. Et donc, de bloquer efficacement les percées souvent à deux des attaquants madrilènes, tout en permettant une relance de qualité grâce à la présence de l’ancien du Real dans l’axe.
Mais là ou je voulais vous emmener, c’est le fait que le Bayern soit fait pour jouer à dix. D’abord, avec le 3-4-3 modulable que nous venons de voir. Mais aussi avec des arrières comme Lahm et Alaba, contrattaquants dans l’âme. Enfin, surtout grâce à Thomas Müller, qui est le joueur idéal quand on joue à dix. Celui qui porte la combinaison prénom-nom la plus courante en Allemagne a en effet toutes les qualités d’un numéro neuf pour jouer à dix. C’est un joueur de collectif, sans positionnement bien défini, capable de ratisser sur la largeur tout le front de l’attaque. Et aidé par un autre larron fait pour jouer à dix lui aussi qu’est Joshua Kimmich, si les centraux n’étaient pas complétement usés à la fin des 90 minutes, le Bayern aurait pu rêver aux demi-finales de Ligue des Champions.