Cet article est une traduction intégrale d’un papier du journal anglais The Economist que vous pouvez retrouver en cliquant sur ce lien.
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La probabilité que les catalans refassent un retard de trois buts après 87 minutes ? 0.1%
Le Camp Nou éructait. Un but tardif qui change le destin du match est suffisamment important pour envoyer n’importe quelle foule de spectateurs au paradis. Mais trois ? C’était ce dont le Barça avait besoin alors que la 90ème minute approchait, le 8 mars, dans la seconde manche des matchs à éliminations direct contre le Paris Saint-Germain.
Le club catalan avait déjà été baladé dans la première manche, perdant 4-0 dans une ignoble performance, à l’extérieur, au Parc des Princes, le 14 février. Le faible espoir du Barça d’une qualification pour les quarts de finale était encore plus liquéfié par la règle du but à l’extérieur : si le score en cumulé sur les deux manches était au même niveau sur l’ensemble des deux manches, l’équipe ayant marqué le plus de buts à l’extérieur continuait son parcours. Et assez sûrement, après que l’équipe à domicile ait réussi à prendre une avance de trois buts, Edinson Cavani, l’avant-centre du Paris Saint-Germain, envoya une volée dans le haut des buts adverses à la 62ème minute. Cela signifiait que le Barça aurait à gagner par cinq buts d’écart, leur en laissant trois à marquer, alors qu’il ne restait qu’une demi-heure à jouer. Et ils ont échoué à en marquer durant les 26 minutes suivantes.
Ce n’est que lorsque la 88ème minute est arrivée que les vannes se sont ouvertes. Neymar inscrivit un coup franc de 27 mètres, en l’envoyant dans la lucarne. Deux minutes plus tard, Luis Suárez, qui avait déjà reçu un carton jaune pour simulation, tomba dans la surface après un très léger contact, et obtint un pénalty, que Neymar inscrivit. Cinq minutes de temps additionnel furent décidées par l’arbitre. Dans ces cinq minutes, le Barça obtint un autre coup franc, récupéré par leur propre gardien dans la moitié adverse, puisque personne ne l’avait récupéré. La balle a été envoyée dans la boite, dégagée, reprise par Neymar, et envoyée au fond par Sergi Roberto. L’horloge indiquait 94:40. Le chaos s’ensuivit. Les célébrations ont été enregistrées sur les sismographes locaux !
Cette victoire 6-1 était-elle le plus grand renversement de situation de l’histoire de la Ligue des Champions, le plus prestigieux tournoi européen – y compris pendant les 38 années où elle était connue sous le nom de Coupe des Clubs Champions ? La réponse dépend de la manière dont on définit « plus grand ». La plus simple façon serait de mesurer le retard d’une équipe après la première manche. Par cette façon, le Barça glanerait logiquement la première place : bien que huit clubs aient renversé par le passé la situation avec trois buts de retard, aucun ne l’avait fait de quatre (voir tableau).
Cependant, d’aucuns d’arguer du fait que ce simple classement est trop facile ou trop dur pour le Barça. D’une part, si vous souhaitez parier sur le fait qu’une équipe inscrira trois buts en six minutes, cela sera plus facile en comptant sur la meurtrière ligne d’attaque composée de Lionel Messi, Neymar, et monsieur Suárez. Ensembles, ils ont trouvé le chemin des filets à 335 reprises au cours des trois dernières saisons. Même si le Paris Saint-Germain est un formidable adversaire, ClubElo.com, un site web qui évalue les équipes en utilisant la formule Elo, les a classés sixième en Europe avant la deuxième manche – ils étaient encore considérés comme beaucoup plus faible que la grande équipe de Barcelone. Avant le début de la première manche, ClubElo a calculé les chances de progression du Barça au tour suivant à 75% ; faisant d’eux un puissant concurrent, de la même veine que les équipes étant revenues de trois buts de désavantages. Et après leur déroute à Paris, les marchés des Paris étaient dans des cycles si haussiers que les chances du Barça de revenir dans le jeu étaient à un ratio de 1 pour 14.
Mais si l’avantage de Barcelone en matière de talent rend leur résultat moins impressionnant, le fait qu’ils l’aient fait en 2017 le rend particulièrement remarquable. Ce n’est pas une coïncidence que sept des huit équipes du tableau ci-dessus soient de l’ère de la Coupe des Clubs Champions, avant 1992, quand les buts étaient beaucoup plus abondants. Dans l’édition de 1970, où le Panathinaikos a humilié le Red Star Belgrade en demi-finale, environ 3,4 buts ont été inscrits lors de chaque match à élimination directe lors de l’édition, un taux près de 50% plus élevé que les 2,3 buts par match des matchs de la Ligue des Champions de la saison dernière. Dans toutes les compétitions, les défenses sont devenues plus efficaces et les tactiques plus conservatrices, faisant augmenter la difficulté de marquer des buts comme ceux dont Barcelone avait besoin.
Un argument plus précis est le fait qu’il y a deux résurrections lors d’une seule rencontre. Quelques-unes des plus fameuses remontées et chutes ont eu lieu au cours d’une seule manche de 90 minutes, plutôt qu’au cours de deux rencontres. En effet, un aller-retour n’est pas possible en finale de Ligue des Champions, depuis qu’il n’y a qu’un seul match joué dans un stade neutre. Comment peut-on dès lors comparer le séisme du Camp Nou au miracle d’Istanbul ? – la finale de 2005, ou un fantastique Liverpool a réussi a remonté un retard de trois buts à la pause face à un Milan AC déconfit.
Pour rendre justice aux œuvres du Barça, il a été construit un modèle statistique qui estime deux probabilités pour les manches de la Ligue des Champions. Premièrement, combien de fois une équipe pourrait revenir au score malgré le score de la première manche. Et deuxièmement, leurs côtes étant donné le score et le temps joué dans la deuxième manche (ou bien dans la finale). Le modèle a été formé grâce à chaque match joué dans l’histoire de la compétition, et montre la force relative des équipes (où les données étaient disponibles) et la fréquence de buts marqués à tout moment.
Les résultats confirment l’idée populaire que les remontées effectuées par Liverpool et Barcelone appartiennent à une élite à part (voir le tableau ci-dessous). Seulement trois fois dans la longue histoire du livre des records de la Champions League, un club avec moins de 0,5% de chances de victoire s’est imposé. En 2013, le Borussia Dortmund a eu besoin de deux buts dans le temps additionnel pour dépasser Malaga. Le modèle a calculé les chances de ce résultat à 0,5%. Son scepticisme peut bien avoir été justifié, puisque les supporters de Málaga insisteraient pour que leur équipe ne perdît que parce qu’un juge de ligne regardait de l’autre côté quand un joueur de Dortmund était hors-jeu. Le résultat du match d’Istanbul était lui légèrement moins probable, nécessitant une extraordinaire équipe de Liverpool pour marquer trois buts en 37 minutes contre la puissance de l’AC Milan. Les chances étaient de seulement 0,4%. Mais même cette étonnante renaissance était quatre fois plus probable que le retour en Catalogne. Au bout de 87 minutes, la probabilité que le Barça dépasse trois fois les Parisiens était de l’ordre de 1 sur 1000.
Choisir entre ces deux incroyables comebacks est une question de gout. Les supporters du Barça peuvent arguer du fait que leur club a plus de crédit pour avoir réussi à remonter une première manche effroyable et s’être qualifié malgré la règle du but à l’extérieur dans les derniers instants de la rencontre. Les liverpuldiens vont rétorquer que leur remontée a eu lieu dans une finale, et qu’ils ont fini champion, plutôt que de prendre place en ¼ de finale. Dans une tentative d’équilibrage de ces arguments, il a été combiné les improbabilités jumelles de chaque résultat en une seule donnée, en ajoutant le logarithme de l’inverse de la chance de chaque équipe de gagner avant la deuxième étape et ce à son point le plus bas pendant le match. Il a aussi été décerné des points de bonus pour les victoires qui sont venues plus tard dans le tournoi, et il a été doublé les points pour la finale parce qu’ils se composent d’une seule manche plutôt que deux. Quand toutes les sommes ont été complètes, Liverpool s’est intercalé juste devant Barcelone.
Ce classement final est bien entendu très sensible au choix de la pondération. En limitant l’analyse à des liens individuels, il a été traité chaque match comme un exploit indépendant, ne donnant aucun crédit aux clubs qui ont tiré plusieurs retours improbables dans le même tournoi. L’élargissement de la pondération au-delà d’un seul lien pourrait avoir élevé le triomphe de Manchester United en 1999 à la première place. La victoire du club sur le Bayern Munich dans la finale est aussi célèbre, puisqu’ils ont inscrit deux buts dans le temps additionnel. Toutefois, United a également fait face à une tâche tout aussi difficile en demi-finale. Ayant concédé deux buts très tôt face à la Juventus, ils avaient besoin de marquer deux fois dans la rencontre, et ce contre l’une des meilleures défenses de l’Europe. Dans chaque match, la probabilité de gagner de Manchester United a chuté à environ 4%. Individuellement, ces chances étaient beaucoup plus élevées que celles du Camp Nou et d’Istanbul au plus profond du désespoir pour Barcelone et Liverpool. Mais en tandem, ces retours en matches consécutifs pour gagner la Ligue des champions sont sans doute aussi impressionnants.
Compte tenu du nombre de retours apparemment improbables au cours de la dernière année, les fans pourraient être pardonnés pour préférer ces exploits aussi impressionnants d’autres sports. Les Indians de Cleveland en baseball ont échoué malgré une chance de 85% de triompher dans la Série mondiale 2016 après quatre matchs. Les Golden State Warriors en basket-ball ont gaspillé 95% de chances de remporter les finales de la NBA 2016 au cinquième match. Et les Falcons d’Atlanta ont en quelque sorte fini sur le mauvais côté avec probabilité de 99,6% de victoire dans le Super Bowl 2017. Mais même face à une concurrence aussi redoutable, le Barça se démarque. Aucun de ces événements n’était aussi peu probable que leurs espoirs de rédemption quand Neymar a inscrit son coup franc avec deux minutes de temps réglementaire restant.