Le football est un spectacle qui passionne, rassemble les foules mais les divise aussi. Mais il reste avant d’être un spectacle un sport. Pourtant, certains le voient comme une raison de vivre. Et c’est pourquoi certains se le gravent sur la peau. Cependant, cette vision en omet une qui est importante : c’est celle du sportif en lui-même. Car si depuis son plus jeune âge il ne peut faire autre chose que jouer au football, cela nous conduit à nous demander : les footballeurs sont-ils épanouis ?

Qu’est-ce qu’être épanoui ?

L’épanouissement est une notion qui depuis plusieurs années fait son apparition dans le vocabulaire courant. Pourtant, le fait d’être (ou non) « épanoui » n’est que rarement défini. C’est ce que je vais tenter de faire.

L’épanouissement, c’est avant tout l’expression contrôlée de ses passions dans leur plus haute intériorité. C’est-à-dire que, pour repartir du schéma stoïcien, c’est ce qui doit ricocher contre notre citadelle intérieure. On a donc la nôtre première approximation de l’épanouissement. Mais ce n’est pas tout. Car cette définition de l’épanouissement en omet une autre qui est pourtant primordiale. Car ne se résumer qu’au schéma stoïcien nous fait passer à côté de beaucoup de choses. Référons-nous à Epictète, à la mort de son fils : « Je savais que je n’avais pas engendré un immortel ». Cette parole prononcée de sang-froid marque toute la froideur de la pensée stoïcienne. Et c’est donc pourquoi il faut aller plus loin.

Je n’ai pas pour but de m’attarder sur cette pensée, mais il me faut l’expliciter avant. Je veux bien sûr parler de la pensée de Baruch Spinoza. Le philosophe néerlandais, pour simplifier, définit trois passions fondamentales. Il s’agit donc de la Joie, de la Tristesse, et du désir de persévérer dans son être. Certes, me direz-vous, cela ne suffit pas à dire si untel ou untel est épanoui. Mais cela peut nous aider à approcher cette idée d’épanouissement.

Chez les footballeurs

Car le footballeur ne peut que d’une manière très limitée persévérer dans son être. En effet, il est limité par le milieu social dans lequel il trempe, qui l’oblige à fréquenter non pas les cafés littéraires – comme le catholique Café Simone Weil de Lyon – mais plutôt les boîtes de nuit et autres lieux de débauches. Et cela l’empêche également d’atteindre l’épanouissement stoïcien. Car il est bien évident qu’il est impossible de faire preuve de frugalité dans ce genre de circonstance. Il ne s’agit bien sûr pas forcément de frugalité de mode de vie, mais bien de mœurs dont je parle.

Mais s’adonner pleinement à ses passions n’est pas pour autant quelque chose de fondamentalement négatif. Car s’adonner aux passions est un « oui » à la vie, c’est ce qui nous affirme dans notre humanité. Car s’il y a bien une chose qui distingue l’Homme de la pierre, c’est sa condition humaine. Et sa condition humaine, que l’on sait désastreuse, s’exprime en premier lieu de par ses passions. Et les footballeurs ?

Certes, me direz-vous encore, s’adonner en trop grande partie aux passions peut être négatif. Et certes, les passions ont pour racine linguistique le terme « pâtir ». Mais il ne faut pas non plus oublier que les passions sont nécessaires. Car ne pas s’adonner à ses passions peut conduire à des troubles psychosomatiques, voire psychogènes. Je pense bien sûr à l’hystérie, maladie, pithiatisme, névrose même, symbolique du 19ème siècle. Et cette névrose est symbolique de la non expression des passions. Alors, qu’est-ce à dire pour les footballeurs ?

Être ou ne pas être épanoui

Par cette aimable parodie de la fameuse formule de Shakespeare dans Hamlet, je veux exprimer enfin le fait que la fatalité ne tombe pas mais s’abat. Car c’est en effet quelque chose de bien souvent exprimé que la fatalité de la condition humaine. Mais si le footballeur n’est pas épanoui, ce n’est pas forcément de son fait.

« Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux » – Aragon (1944, Il n’y a pas d’amour heureux)

Et si rien n’est jamais acquis, c’est bien que le footballeur ne décide pas réellement de son épanouissement. Il reste bien évidemment victime de son entourage. Et s’il n’est pas réellement épanoui, ce n’est pas faute de matériel. Non, c’est bien évidemment le spirituel – je ne pense bien sûr pas aux dieux mais à la réflexion. Il nous faut regarder en face l’absurde condition humaine que le monde nous impose. Tel est le dur devoir des footballeurs.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)